Le 13 Octobre aurait-il pu être évité ?

Depuis son retour au Liban, le général Aoun a répété à plusieurs reprises qu’il savait avant le 13 Octobre 1990, que la décision d’en finir avec lui avait été prise par la communauté internationale. Donnant ainsi le feu vert à l’assaut de l’armée syrienne sur le palais de Baabda et les régions sous le contrôle de l’armée libanaise. De ce fait, n’aurait-il pas mieux valu éviter une bataille meurtrière à une population épuisée par de longs mois de guerres et de blocus ? En annonçant sa reddition quelques heures avant l’assaut, comme il l’a fait par la suite sous le pilonnage syrien, « pour éviter une plus grande effusion de sang et protéger ce qui reste » ?

On ne pouvait pas se rendre sans baroud d’honneur, me répète-t-on depuis 19 ans. Pour l’Histoire. Pour faire la preuve indiscutable que c’est par la force des armes que le Liban a été vaincu et occupé.

Soit.

Mais tout commandement militaire qui se respecte se doit de préparer plusieurs scénarios. Aurait-il été impossible de donner des ordres préalables aux commandants des brigades qui défendaient les divers fronts, de se rendre après les premiers combats si l’armée syrienne utilisait l’aviation ? – Signe que la décision d’en finir avec le « cas Aoun » était définitive. Il est difficile de comprendre pourquoi une telle disposition n’a pas été prise. Mais admettons que dans l’effervescence passionnelle de cette période-là, un tel scénario fût oublié…

Pourquoi alors, après la reddition du général Aoun à 9h du matin, les soldats de l’armée ont continué à se battre jusqu’à presque 15h ? Les communications étaient coupées, ou brouillées, dit la version officielle. Mais aurait-il été impossible d’envoyer des soldats ou des officiers, même sous les bombardements aveugles de l’armée syrienne et de ses alliés, prévenir leurs camarades au front que la bataille était terminée ? Évitant ainsi le massacre de brigades entières de l’armée et nombre de civils. De 9h à 15h, six heures… Six longues heures.

J’attends, comme beaucoup qui étaient à Baabda ce jour-là, des réponses convaincantes à ces questions gênantes, oppressantes. Plus j’y pense, moins je comprends. Mais plus je me rend compte que « Le 13 Octobre aurait-il pu être évité ?» n’est pas la bonne question. La réelle question devrait sans doute être : « Pourquoi le 13 Octobre n’a pas été évité ?»

En me posant cette question, je ne peux m’empêcher de penser à tous ceux qui sont mort ce jour-là. Tous ces soldats, ces lions, qui se sont battus jusqu’au bout, pour que vive l’idée d’un Liban libre, indépendant et souverain. Tous ces anonymes, qui s’étaient dressés contre l’inévitable, l’inacceptable logique de la realpolitik internationale. Et qui, un soir, s’étaient érigé en bouclier humain, protégeant le général Aoun et le palais présidentiel de Baabda, alors derniers symboles d’une nation fière et libre. Tous ceux qui ont été capturés ou enlevés, puis envoyés en Syrie. Et qui ne sont jamais revenus. Sans que rien n’ait été fait pour éviter ça.

Décidément, même après 19 ans, la pilule du 13 Octobre n’est toujours pas passée.

Et ne passera probablement jamais.

© Claude El Khal, 2009