Hasta la victoria…


La révolution française a engendré la Terreur. La révolution russe, le goulag. La révolution iranienne, les mollahs. Sans parler de la révolution cubaine, chinoise, cambodgienne, la liste est longue, trop longue.

Dès qu’on change un régime injuste, totalitaire, voire sanguinaire, on tombe dans un autre, encore plus injuste, encore plus totalitaire, encore plus sanguinaire.

Staline est le fils du Tsar, Castro, l’enfant rebelle de Batista et les barbus, la nombreuse marmaille du Shah.

Alors quoi ? On ne fait rien ? On ne change rien ? On se laisse écraser, bastonner, bâillonner, terroriser, assassiner ?

Bien sûr que non.

La révolution, il faut la faire. Au delà d’une nécessité, c’est un devoir.

Un devoir envers ceux qui en ont rêvé, ceux qui ont essayé mais ont échoué. Et même envers ceux qui n’ont jamais osé. Un devoir envers nos enfants, envers les leurs, et toutes les générations à venir. Un devoir surtout envers nous-mêmes. Envers cette petite différence qu’il y a en chacun de nous, et qu’on appelle « humanité ».

Mais cette révolution n’est pas celle des masses, des drapeaux et des poings levés. De celles qui ne conduisent qu’à d’autres tyrannies, puis à d’autres révolutions, à d’autres poings levés. Comme un cycle vicieux et imbécile.

La vraie révolution est intérieure. Les seules dictatures à renverser sont celles de notre intolérance, de notre étroitesse d’esprit et de nos peurs.

Peur de l’autre, peur de ce qui ne nous ressemble pas, peur du changement, peur de ce que nous ne connaissons pas, peur de perdre le peu de ces privilèges que nous avons.

Ces privilèges d’esclave.

Qui d’autre que l’esclave court toute sa vie pour récupérer un peu des miettes du festin ? Qui d’autre fait le beau pour récolter quelques caresses ? Qui d’autre se couche et se lève quand l’ordre est donné ? Qui d’autre s’en va mourir quand les maîtres se disputent un bout de lard, un bout de terre, ou pire, un bout d’idée ?

Regardez bien votre vie, notre vie. Ne se limite-t-elle pas essentiellement à augmenter un chiffre ? Celui qui s’affiche sur notre relevé bancaire. Ce chiffre qui va nous permette d’acquérir des objets. Des objets qui se portent, qui se conduisent, qui se mettent chez soi, près de la cheminée. Des objets qu’on montre. Qu’on exhibe. Pour se prouver qu’on est important. Qu’on a réussi. Qu’on a acquis la légitimité d’être respecté. D’être aimé.

Que sommes-nous d’autre que des esclaves ?

On me dit que c’est le système, qu’il faut vivre avec, marche ou crève. Mais qui a créé ce système ? Qui l’a bercé, choyé, pomponné ? Qui continue tous les jours à le nourrir ?

Nous. Personne d’autre que nous.

Il ne tient donc qu’à nous de le changer, de l’améliorer. Mais comment améliorer quand nous restons les mêmes ? Comment prétendre à la justice si nous sommes injustes ? À la tolérance quand nous sommes intolérants ?

Quelqu’un qui ne sait pas tenir un pinceau ne peindra jamais la Joconde.

La vraie révolution est intérieure. Intérieure et permanente. C’est un effort quotidien. Un combat de tous les instants. Difficile, pénible et souvent ingrat.

C’est vrai que ce n’est pas très spectaculaire. Un peuple qui se soulève, c’est tellement plus Wagner. Un tyran moustachu, enturbanné ou abondamment médaillé, c’est tellement plus Chaplin. Mais en finalité, les maîtres remplacent les maîtres et les esclaves restent des esclaves. Et rêvent à nouveau de Wagner et de Chaplin.

Nous ne cesserons d’être des esclaves que lorsque nous aurons vaincu notre réel geôlier, le plus injuste des maîtres, le plus terrible des tyrans : nous-mêmes.

Et le jour où nous réussirons, nous réaliserons, étonnés, que le système a lui-même changé. Avec nous, petit à petit, lentement, sans armes, ni haine, ni violence.

Hasta la victoria siempre, camarades !


© Claude El Khal, 2011