Le jour des cons est arrivé


Vous êtes con ?

Ne le cachez plus, clamez-le, criez-le, la tête haute et le torse bombé. Sortez vos pancartes et vos drapeaux. Descendez dans la rue et brandissez votre connerie avec fierté.

Cons de tous les pays, ne vous punissez plus !

Fini le temps où être con était une maladie honteuse. Où il fallait coûte que coûte avoir l’air futé, l’œil cerné, et trimbaler dans ses sacoches pourries de vieux bouquins écornés de Sartre et de Simone.

Fini le temps où il fallait se taper « Apostrophes », Bernard Pivot et ses lunettes. Où il était de bon ton de connaître Soljenitsyne et son archipel du goulag. Terminée l’époque où vous deviez rire des facéties verbales de Raymond Devos et du sarcasme limousin de Pierre Desproges.

Tout ça c’est révolu.

Aujourd’hui vous êtes libre. « Apostrophes », ça fait longtemps que la télé ne passe plus ce genre d’inepties. Quant à Devos et Desproges, on ne les ressort que pour des émissions à la con. Vos préférées. Faites sur mesure pour vos cerveaux magnifiquement ankylosés.

Cons, l’heure est venue de faire votre coming out. Et de réclamer haut et fort la place qui est la vôtre.

Il est grand temps que vous le sachiez : vous êtes la majorité absolue de la population sur cette planète. Si vous formiez un parti, il serait le plus grand, le plus puissant parti du monde.

En réalité, vous êtes déjà aux commandes de la destinée du genre humain.

Vous ne me croyez pas ?

Regardez l’Amérique. N’a-t-elle pas prouvé, avec le fiston Bush, que le dernier des cons pouvait devenir l’homme le plus puissant du monde ?

Ne l’a-t-elle pas encore prouvé avec Obama ? À qui on a donné un prix Nobel de la paix, alors qu’il venait d’être élu et n’avait encore rien fait. Un peu comme si on avait décerné l’Oscar du meilleur film à un long-métrage qui n’avait pas encore été tourné.

Mais oui, vous l’avez bien compris, ils vous apprécient à votre juste valeur, et vous prennent pour de vrais cons.

Mais il n’y a pas que l’Amérique. Il y aussi l’Europe.

Pour bien prouver que ce sont de grandes et belles démocraties, les pays européens ne prennent pas de décisions majeures sans faire de referendums, sans en appeler à la vox populi.

Pour adopter l’Euro comme monnaie unique, par exemple.

Quand le vote du populi ne donnait pas le résultat prévu et qu’il disait « non », il fallait recommencer. Voter, re-voter, re-re-voter, jusqu’à ce que le « oui » tant attendu sorte victorieux des urnes.

Là non plus, n’allez pas dire qu’on ne vous prend pas pour les fabuleux cons que vous êtes!

Mais que les cons du tiers monde ne s’inquiètent pas, ils ne sont pas en reste.

Prenez l’Afrique, C’est le continent le plus riche avec la population la plus pauvre. Bravo l’Afrique !

Quant au Liban, on nous affirme que la décrépitude de l’Etat est due à la pauvreté de ses caisses. Alors que notre chef de gouvernement est un milliardaire. Et que celui qui l'a précédé est presque aussi obèse du compte en banque.

Réjouissez-vous, en politique, le dîner de cons c’est tous les soirs qu’il est servi.

« Et le singe devint con », écrivait Cavanna, créateur d’Hara-Kiri, journal infâme et infamant qui se voulait anti-vous. Il pensait faire un bon mot, le père Cavanna, une grosse et grasse gaudriole. Mais il avait mis, sans le savoir, le doigt sur la plus grande vérité de ces derniers siècles : Le con est le summum de la création, l’apothéose de l’évolution.

Et aujourd’hui, son heure de gloire est arrivée. Votre heure de gloire.

Une ère nouvelle où vous pouvez dire les pires imbécilités et être applaudi. Où vous pouvez écrire toutes vos âneries et voir avec délectation la multitude se mettre à hennir avec vous.

Une ère où vous pouvez enfin dire avec respect à votre voisin : « Vous êtes un con, monsieur » et l'entendre fièrement répondre : « Et vous, vous en êtes un autre ».


© Claude El Khal, 2011