Tabac et passage à tabac


Il y a une logique derrière la législation libanaise. Une grande et belle logique. Imparable. Indiscutable. Et ne venez pas me dire le contraire.

Ils sont forts, nos élus. Très forts. De vraies lumières. Avec de pareils députés, qui a besoin d’électricité ? Leur intelligence et leur sagesse suffisent à illuminer nos vies et nos villes.

Mais je vous connais, mauvaise langue comme vous êtes, vous allez évidemment demander pourquoi nos chers parlementaires ont voté une loi anti-tabac avant celle, nettement plus urgente, interdisant la violence domestique.

Anti-tabac, oui ! Anti-passage à tabac, non ?

Mais si vous arrêtez de ricaner un peu et commencez à réfléchir, vous verrez qu’il n’y a rien de plus logique. Rien de plus limpide.

L’homme ne pouvant plus fumer dans les lieux publics, se verra contraint, à terme, d’arrêter de fumer. Du moins s’il veut continuer à avoir une quelconque vie sociale.

Et les Libanais sans vie sociale, c’est comme les hamsters sans roue dans leur cage.
Malheureux comme des parisiens rentrés de vacances, ils dépériront lentement devant la télévision. Qui, il faut l’avouer, est devenue encore plus toxique que le tabac, les pots d’échappements et les cheminées d’usines réunis.

Quasiment radioactive, la télé au Liban. Mais ça c’est un autre débat.

Bref, on sait très bien qu’arrêter de fumer rend nerveux, voire colérique. Donc notre brave poilu, fumeur invétéré et frustré, va devoir se passer les nerfs.

Imaginez un instant qu’il le fasse sur ceux qui l’entubent depuis qu’il est né, ceux qui ont entubé ses parents avant lui, et qui entuberont ses enfants, puis les enfants de ses enfants…. Quelle anarchie ce serait !

Imaginez qu’il se mette à critiquer les politiques, leurs mensonges et leur corruption. Qu’il commence à mettre en doute l’autorité des turbans et des soutanes. Qu’il dénonce leur hypocrisie, leur schizophrénie chronique –capitalistes tendance Madoff du lundi au samedi, et amis des pauvres, le dimanche. Imaginez même qu’il nous fomente une révolution, ce brave poilu.

On en fait des choses excessives quand on est énervé…

Mais les révolutions, ça fait désordre. C’est bordélique. Tous ces gens dans la rue, toute cette sueur concentrée, c’est dégoutant. Il faudrait laver tout ça au canon à eau. Malheureusement, cette grande douche publique risque de coûter très cher. Avec la crise de l’eau qui s’annonce, ce ne serait pas sérieux. Pas sérieux du tout.

Alors quoi de mieux que sa femme pour se passer les nerfs ?

Une bonne trempe à la grognasse, ça calme son homme. Mieux que les patchs ou l’acuponcture. Ça détend et ça rassure. Ça redonne confiance en soi et en sa virilité. Un parfait exemple de médecine naturelle. Plus efficace et plus sain que tous les prozac du monde. Un vrai miracle.

L’homme calmé et rasséréné, pourra gentiment retourner se faire entuber en silence, comme ses pères l’ont fait avant lui.

Ainsi, la société sera en meilleure santé sans ces maudites cigarettes, et sera immunisé du danger d’implosion grâce aux femmes et aux coups qu’elles vont se prendre dans la gueule.

C’est donc pour préserver l’ordre public et sauver la République que notre parlement chéri ne vote pas une loi interdisant la violence domestique.

Quand je vous dis qu’ils sont vraiment très forts, nos députés !

De vrais génies.


© Claude El Khal, 2011