Back to school


Ça y est, c’est la rentrée.

Cartables, livres, cahiers, trousses, vos chers petits se préparent à affronter une nouvelle année scolaire. Prêts à recevoir cette indispensable éducation qui vous coûte si cher.

Peut-être avez-vous eu la chance d'aller à l’école, vous aussi. Peut-être avez-vous usé ses bancs de vos fesses studieuses. Gravé un prénom adoré sur ses pupitres en bois. Sué avant chaque examen, avant de passer au tableau, avant de réciter, hésitants, un poème auquel vous ne compreniez rien.

Peut-être vous souvenez-vous de ce sentiment fébrile, quand vous étiez mômes et que c’était votre cartable qu’il fallait remplir. Peut-être avez-vous redoublé, ou passé de classe, comme on dit.

Peut-être avez-vous été à l’université. Décroché des diplômes. Lancé en l’air le ridicule chapeau carré… Geste hautement symbolique et libérateur qui annonce votre entrée dans l’âge adulte.

Si c'est le cas, si vous avez été à l'école, ou même à l'université, qu’avez-vous appris ? Vraiment. Et que reste-t-il de tout ce savoir accumulé ces années durant ?

En quoi les sinus et cosinus ont-ils changé votre vie ? La formule chimique du zinc a-t-elle participé à votre évolution personnelle ? En quoi les dates de guerres épiques ont-elles contribué à votre bonheur ? Les récitations au tableau ont-elles aidé à la réalisation de vos rêves ?

Allez, avouez-le, en rien. Ou en pas grand chose.

Mais curieusement, faisant fi de votre expérience, vous envoyez allégrement vos enfants suivre le même chemin. Des années à se casser la tête pour savoir en combien de temps se remplit une baignoire percée. Des nuits blanches à se fourrer dans le crâne que la bataille de Marignan c’était en 1515, que le PIB des Etats-Unis en 1962 avait augmenté de 2,7 % et que Staline était né en 1878.

Moi qui croyais que vous les aimiez vos petits morveux. Que vous vouliez leur donner le meilleur de tout. Que vous vouliez qu’ils soient plus heureux, plus épanouis, plus accomplis que vous.

Mais on dirait que vous voulez vous venger de tant de temps perdu, en infligeant la même chose à vos gnomes. Selon la logique perverse du « j’en ai chié, tu vas en chier aussi, petit con. »

Ne venez pas me dire que c’est pour leur assurer un avenir. Vous savez pertinemment qu’un crétin ignare mais bien né a plus d’avenir qu’un génie bardé de diplômes venu d’une famille pauvre. Que pour réussir dans la vie, ce n’est pas d’éducation dont on a besoin, mais d’un papa gras du compte en banque.

Et qu’à moins de devenir malhonnête, le fils d’un biafrais du portefeuille, a très peu de chance de s’assurer un avenir radieux.

Il reste évidemment la chance. Ou le Lotto. Mais ça c’est un autre sujet.

Bref, la grande question est : si vous les aimez vraiment vos gosses, pourquoi les envoyez-vous à l’école ?

Parce que c’est comme ça, c’est la société qui veut ça, répondront certains. Alors, si je comprends bien, c’est parce que « c’est comme ça » que vous allez suer sang et eau pour payer des années de scolarité qui ne vont servir à rien ? Désolé de vous le dire, mais c’est complètement stupide.

Parce qu’il vaut mieux qu’ils aillent à l’école plutôt que de traîner dans la rue, répondront d’autres. C’est donc pour vous rassurer que vous leur infligez des années de perte de temps ? Là, c’est carrément ridicule.

Parce que l’école, c’est le premier apprentissage pour vivre en société, répondront les plus intelligents. C’est à l’école qu’on se fait des amis, qu’on tombe amoureux, qu’on apprend à connaître les autres. Sans doute. Mais a-t-on besoin de sinus, cosinus, et baignoire percée pour ça ? Bien sûr que non.

Ce dont vos enfants ont besoin, c’est d’apprendre à se connaître, à trouver cette chose unique qui est en chacun d’eux, ce talent qu’il va falloir apprivoiser, puis développer, pour enfin trouver le réel but de leur vie.

Leur apprendre à s’accomplir, à choisir, à être libre. À apprécier la beauté des choses, non pas pour leur valeur matérielle, mais pour ce qu’elles sont vraiment. À respecter les autres, et le monde tout autour. Et même, pourquoi pas, à devenir d’excellents amants au lieu de n’être que de piètres conjoints.

Leur apprendre à devenir des hommes et des femmes. Magnifiques créatures douées de raison, d’amour et de talent. Des êtres éminemment créateurs. Pas des pénis sur pattes ou des vagins reproducteurs. Des généraux ou des soldats de plomb. Des cravatés ou des siliconées.

L'éducation des enfants prépare le monde de demain. Pour que ce monde soit un peu moins laid que le nôtre, n'est-il pas urgent de réinventer le système scolaire ?

Car si ce n'est pour un avenir meilleur, pourquoi les envoyez-vous à l’école, vos petits ?


© Claude El Khal, 2011