Témoin à charge

Gilles Jacquier est mort en Syrie.

Gilles Jacquier n’était pas syrien. Il ne brandissait pas le portrait moustachu de Bachar. Ne scandait pas « mort au tyran ». Ne levait pas de poing vengeur face à la répression. Ne cassait pas de l’opposant à coup de kalachnikov.

Gilles Jacquier faisait son travail.

Gilles Jacquier était un témoin du monde. Du monde qui va mal. Du monde qui saigne. Qui se déchire et se détruit. Ce monde imbécile et arrogant qui trouve toujours des excuses à l’inacceptable. À l’inadmissible. Ce monde où le meurtre est devenu un lieu commun. Une statistique pour les nouvelles du soir. Où on nous balance le nombre de morts comme on égrène un chapelet sinistre et monstrueux.

Un monde où les assassins se partagent les honneurs des gazettes. Où, selon le patron de la gazette, tel ou tel assassin est érigé en héros, ou vilipendé et affublé de l’infamant sobriquet de « boucher ».

Un monde de songes et de mensonges.

Gilles Jacquier n’aimait pas le mensonge. Il avait fait de la vérité un métier. Un métier ingrat et dangereux. Parce que la vérité, le monde s’en fout. La seule qui compte à ses yeux, c’est celle qui s’accorde avec ses idées. Ou ses illusions.

Il y en a déjà qui vont oser un « oui mais ». Qui vont jeter les blâmes : « c’est la faute à la répression » ou autre ânerie du même acabit. D’autres vont, au contraire, y voir la preuve incontestable que les opposants sont des terroristes, barbus et barbares. D’autres encore ne vont pas raconter les détails du drame de peur d’affaiblir leur rhétorique anti-Assad. Et je ne parle pas de ceux qui se réjouissent en silence et instrumentalisent tout ça de façon éhontée.

Salauds ! Triple salauds ! Charognards ! Ayez la décence, au moins pour quelques heures, de fermer vos gueules !

Je ne connaissais pas Gilles Jacquier. Je ne connais pas sa compagne. Je ne sais même pas s’il avait des enfants.

Mais aujourd’hui je pleure un frère. Un homme qui a pris sa caméra et qui est parti à la rencontre des autres, là où ça fait le plus mal, là où l’humanité montre son vrai visage, là où le fard n’est plus de mise.

Un homme courageux. Un homme, tout simplement.



© Claude El Khal, 2012