Poujaounisme ?


Je m’étais promis de ne plus parler politique. Le débat public au Liban étant aussi utile qu’un four à micro-ondes au milieu des dunes du Sahara.

On discute, on s’invective, on s’énerve, on finit par se taper un ulcère, mais rien ne change. Jamais. Rien n’avance. On fait du surplace, comme la roue d’une vieille voiture empêtrée dans la boue.

Pourtant ce ne sont pas les occasions de changement qui ont manqué. Mais les Libanais sont devenus les champions des rendez-vous ratés. Le soulèvement salutaire du 14 Mars 2005 en est la preuve la plus flagrante. Et la plus désolante.

Ce soulèvement, cette intifada de l’indépendance, aurait pu devenir une révolution. Une révolution qui aurait balayé le système archaïque, confessionnel, féodal et corrompu, qui étrangle le Liban depuis la fin du mandat français.

Les politiques ont évidemment pris peur. Ils ont ajusté leurs harangues, noyant le débat dans les marécages traditionnels des luttes de clans. Pour finalement se partager le juteux gâteau qu’on voulait appeler République. Chassant d’un coup de pied dédaigneux le peuple libanais de la table du festin.

Et les Libanais sont rentrés chez eux, une pierre sur le cœur. Se délestant eux-mêmes de leur qualité de citoyens, pour redevenir les obligés des oligarques qui les gouvernent.

L’occasion manquée la plus spectaculaire est celle qu’a représentée le général Michel Aoun.

Aoun se disait porteur d’une nouvelle façon de gérer la chose publique. Une volonté sans faille d’en finir avec le régime clanique. Une vision précise et éthique de changement et de réforme du système.

L’espoir était immense. Le raz-de-marée électoral qui a suivi son retour d’exil l’a clairement démontré.

Mais voilà, presque 7 ans après, quel bilan pour le aounisme ?

A-t-il créé un parti réellement démocratique ? Un mouvement basé sur le mérite et la mise en avant d’une jeune génération, issue du peuple, intègre et compétente ? Non. Députés et ministres sont encore à l’image de ce vieux Liban qui n’en finit pas d’agoniser : des « fils de », « neveux de », « gendres de », des grands patrons, des notables, et toute une ribambelle de proches et de clients. Tous soumis au culte éculé du chef suprême, du leader maximo, demi-dieu parmi les hommes.

A-t-il enrichi le débat politique, y apportant un programme réfléchi et clair, détaillant les moyens de réformer réellement la société ? Encore non. Pour tout programme, on n’entend que des slogans populistes, maintes fois rabâchés. Pour toute éthique, on ne voit qu’une série de renoncements sans fin aux principes autrefois martelés comme inébranlables. Et pour toutes réformes, des mesures çà et là, histoire de colmater un peu les brèches, espérant ainsi rafler la mise aux prochaines élections. Mais rien sur des sujets fondamentaux comme l’éducation, l’économie, l’environnement, la justice sociale, les droits des femmes, la sécurité sociale des vieux, et surtout, rien sur le financement urgent et vital de l’armée libanaise, dernier pilier de l’unité du Liban.

A-t-il créé une chaine de télévision dont l’excellence est la pierre angulaire ? Une plateforme pour la foisonnante créativité libanaise, un fer de lance de la riche et bouillonnante culture du pays des cèdres, un forum de débat où les idées novatrices viennent jeter les bases d’un Liban nouveau ? Toujours non. La OTV est un modèle de médiocrité, où le nivellement par le bas est la règle d’or. Où aucune vulgarité n’est épargnée. Où certaines émissions, dites comiques, semblent vouloir à tout prix prouver que l’homme n’est pas encore complètement descendu du singe.

Quel amer constat d’échec pour un courant qui se voulait un néo gaullisme, mais qui s’est révélé n’être qu’un autre poujadisme.

A ceux et celles qui seraient tentés de voir dans mon coup de gueule un quelconque «joumblatisme», je rappelle qu’un soir glacial de novembre, il y déjà plus de 20 ans, nous n’étions pas nombreux à protéger, de nos corps désarmés, le palais de Baabda contre l’invasion imminente des troupes d’occupation syriennes.

Mais beaucoup, malheureusement, ont la mémoire courte. Et ces quelques lignes seront mis sur le compte du « rien ne lui plait », écartant du même coup toute forme d’autocritique –essentielle à tout progrès de la pensée et de l’action politique.

Puis, encore une fois, lors des prochaines élections, les Libanais iront voter contre «l’autre camps», et non pour un réel projet d’avenir. Par peur, par lâcheté, par suivisme, ou tout simplement par lassitude.

Quant à nous, les cocus de la résistance civile et du 14 Mars 2005, ceux qui l’auraient tant aimé la révolution, il ne nous restera plus que les yeux pour pleurer, et les valises pour s’exiler. En prenant bien soin, avant de partir, de jeter la clef assez loin, pour ne plus être tenté de revenir.

Un one way ticket, comme disait le général.


© Claude El Khal, 2012