Le libanais comme on le parle (scène de la vie quotidienne à Beyrouth)


Elle était de bonne humeur. C’était la journée de la Femme, il faisait beau, le ciel était bleu et le soleil brillait. L’hiver semblait avoir rangé ses orages et ses tempêtes.

Elle décida d’aller boire un jus d’orange frais sur la corniche.

Elle voulait commencer cette journée en regardant les milles petits scintillements de la mer. Et en écoutant la ville se réveiller. Avant qu’elle ne soit envahie par la cacophonie des klaxons et le tintamarre quotidiens des chantiers.

Elle enfila le premier jeans qui trainait, ainsi qu’un t-shirt à la propreté douteuse. Elle glissa ses pieds nus dans de vieilles tongs et sortit de chez elle, nouant ses cheveux désordonnés en chignon de fortune.

Dehors, elle huma l’air du printemps qui arrivait à grand pas. Elle ferma les yeux quelques secondes, laissant une légère brise fraiche lui caresser le visage. Elle sourit, et se dirigea nonchalamment vers la corniche.

Soudain, un moustachu surgit de l’embrasure d’une porte et s’exclama : « Matin de lumière, ô lune ! »

D’abord surprise, elle décida de l’ignorer et de continuer sa route. Mais le moustachu insista : « Ô crème de lait, ô miel, ô crème de lait au miel !! »

Elle accéléra le pas, suivie par le moustachu. « Où vas-tu respirer le vent, ô mon âme, ô mes yeux ? Je peux sentir le vent avec toi ? » Agacée, elle lui lança un discret mais ferme : « déteins de moi !!! »

Mais lui de continuer : « Que ton chat m’enterre, que ton nid m’enterre !!! »

Elle s’arrêta d’un coup, se retourna, lui assena une gifle retentissante, se détourna, puis continua son chemin.

La main sur sa joue endolorie, le moustachu ne comprenait pas : « Qu’est que j’ai parlé ? J’ai rien parlé ! »

Puis de conclure : « Salope ! »


© Claude El Khal, 2012