L'ORIENT-LE JOUR : "Claude El Khal, «siempre» contre la bêtise !"


Écrivain-chroniqueur à la plume acerbe – il vient de publier aux éditions Noir sur Blanc « Chroniques de Beyrouth et d’ailleurs » –, publiciste, comédien, réalisateur, dessinateur, Claude El Khal est un artiste engagé. Pour la paix, la justice sociale, la liberté, et surtout contre la médiocrité. Portrait.

Blouson en cuir et dégaine rebelle de mauvais garçon – mais « with a cause » – à la Matt Dillon, époque Outsiders ou Rusty James, Fedora de fortune style soul/funk à la Curtis Mayfield, et même, parfois, petite barbiche et moustache, genre fête de l’Huma avec le bon vin et les bons potes, mais surtout sans idéologie et dogmatisme, ou encore style dessinateur belge inspiré et réac...

Qu’à cela ne tienne, Claude El Khal est en fait avant tout un sacré faussaire. Car, par-delà les apparences et les influences, il ne ressemble en vérité qu’à lui-même. Certes, il y a bien chez lui ce côté un peu anar, à la fois ronchon, ludique et engagé – cynique aussi, sans pourtant jamais se départir de sa tendresse – d’un Brassens qui aurait fait une rencontre inespérée avec Cavanna, Cabu ou le professeur Choron du Hara-Kiri des sixties sur une table de dissection.

Claude El Khal est un indigné, et son indignation est celle d’un humaniste, façon je-suis-un-voyou, biberonné à Tonton Georges et Ferré. De Paris, où il a vécu durant la décennie 80, Claude El Khal a retenu, marqué profondément dans sa peau, les pavés, rejeté viscéralement la culture des Ave et des idées reçues. Il n’a pas peur de heurter les sensibilités et de bousculer les convenances. Il s’en fait même un devoir. Nous sommes plus dans les marécages maudits de Lautréamont et de Huysmans que chez les romantiques. Mais chez Claude El Khal, Isidore Ducasse – « non, Mesdames, Isidore Ducasse n’est pas un chef cuisiner », dirait-il, en se moquant de la médiocrité ambiante – flirte en permanence avec Serge Ernst et Clin d’Œil.

Derrière (ces) Claude(s) El Khal, il y a Claude El Khal.

Mais il y a aussi l’objecteur de conscience qui s’efforce de rappeler à chacun d’entre nous qu’il n’est en définitive assis que sur son cul. Il y a l’écorché vif, l’oiseau de passage, le poète, le fou, le modeste. Malade de cohérence. Constamment écœuré par l’injustice et les faux compromis. Engagé sur tous les fronts, sans n’être partisan que de ce que lui dicte sa conscience. Et encore : parce qu’à l’intérieur de Claude El Khal, Claude El Khal doit être, à l’heure qu’il est, en mode remise en question, en farouche rébellion contre lui-même, dans cette lutte permanente pour rester fidèle à son idéal : dénoncer la connerie, sous toutes ses formes. Autant dire qu’il a du pain sur la planche, médiocrité générale et locale oblige.

Heureusement, pour ce faire, il a un atout considérable, son talent : une force de la nature doit bien pouvoir s’exprimer ; c’est sa raison de vivre. Claude El Khal ne s’en prive pas.

Et quel talent ! Polyvalent. Provocateur. Corrosif. Tout se combine à merveille : la créativité du publiciste, la folie inspirée du comédien, la plume acerbe de l’écrivain-chroniqueur – il vient de publier aux éditions Noir sur Blanc Chroniques de Beyrouth et d’ailleurs, deuxième opus après Flemme (2005) –, la caméra atypique du réalisateur – auteur de courts-métrages salués dont Bloody Mary Afternoon (1998), Beau Rivage (2003) et Ecce Hommos (2009) – et le crayon mordant du dessinateur – il publie actuellement un dessin hebdomadaire chaque lundi sur le site www.libnanews.com.

Claude El Khal est un artiste « engagé ». Sa lutte contre la connerie n’est pas désincarnée. Son talent spirituel est parfaitement temporel, au service de la société. En cela, il est politique contre la politique, celle des partis, des politiciens, des axes ou des polarités. Beau Rivage, à titre d’exemple, du nom de l’infâme QG de torture des services de renseignements syriens de Beyrouth, était un acte de résistance, de l’aveu même du réalisateur, qui affirme avoir fait ce film pour que l’oubli ne phagocyte pas toutes les souffrances faites par l’occupation syrienne aux Libanais. Car Claude El Khal a une sainte horreur de la violence et de l’injustice. Toute forme de violence est pour lui simplement insoutenable, injustifiable, même lorsqu’elle est perpétrée contre les monstres sanguinaires. Aussi l’image des rebelles libyens torturant Kadhafi, malgré son extrême aversion pour le dictateur, n’a pas été sans le laisser perplexe, choqué par ce retour mimétique de violence. L’attaque féroce de la part des conservateurs, mais aussi de ces femmes soudainement ultravertueuses et outrancièrement offensées, contre Alia’ el-Mahdi, la jeune adolescente égyptienne qui a osé poser nue pour défier la phallocratie, le scandalise. La violence faite au patrimoine architectural, culturel – mais aussi aux personnes du troisième âge, laissées à leur sort, ou encore aux pauvres, aux employées de maison victimes d’un racisme criminel de la part de leurs employeurs ou d’une société, narcissique, chauvine, condescendante et imbue d’elle-même...

Claude El Khal est sur tous les fronts. En quête d’idéal et d’évolution permanente, de paix, de justice et de liberté, toujours. Avec un bon P’tit Bleu, si possible. Et n’est-ce pas assez pour le poète, comme disait Saint-John Perse, d’être la mauvaise conscience de son temps?


Michel HAJJI GEORGIOU


L'article sur le site de L'Orient-Le Jour