SANTÉ BEAUTÉ - Chronique nº 17 : Et si on changeait le monde ?


Et si on changeait le monde ?

Ah le doux rêveur diront certains. Le Pierrot sur sa lune, le naïf, le gentil benêt qui n’est pas en phase avec la réalité. L’éternel idéaliste qui ne peut admettre que le monde sera toujours un marasme de sociétés concurrentes et agressives, composées d’individus égoïstes, lâches et cruels – de bons petits pépères en surface, avec au fond un monstre qui sommeille et qui se réveille quand viennent les crises, les guerres ou les matchs de foot. 

Hou le dangereux gauchiste diront les autres. Le vilain trotskiste, l’anarchiste, l’empêcheur de profiter en rond, jaloux de nos succès, de nos voitures de sport, de nos papas ventrus et de nos pépées aux silionnes certes protubérantes mais tellement bandantes quand elles bondissent hors de leur décolleté. Le monde est ce qu’il est, ajouteront-ils, pas si injuste que ça finalement. Les pauvres sont pauvres parce qu’ils sont fainéants ou stupides, ou les deux. Et puis au nom de quel idéal viendrait-on gâcher nos vacances à Tahiti ? 



D’autres encore diront d’accord, on veut bien, c’est vrai qu’il n’est pas très beau le monde, avec ses profiteurs et ses pollueurs. Mais c’est trop compliqué de le transformer. C’est fatigant, c’est frustrant aussi. Faut ramer, faut trimer, faut sacrifier. Est-ce que ça en vaut vraiment la peine ? Regardez l’Histoire, insisteront-ils, toutes ces révolutions qui ont coûté tant de vies, tant de souffrances, mais qui n’ont rien amélioré. Les esclaves d’hier sont devenus des maîtres impitoyables et les victimes d’aujourd’hui seront irrémédiablement les bourreaux de demain. 




Pourtant, répondrais-je, on peut changer le monde sans être naïf ou benêt. Sans être trotskiste ou anarchiste. Sans perdre son temps en théories inutiles, fumeuses et compliquées. Sans armes, sans violence et sans haine. Regardons l’Histoire justement. Observons d’un peu plus près ces petites choses si simples, ces idées si évidentes qui ont bouleversé nos vies et fondamentalement tout changé. 



Prenons la roue, par exemple. Quoi de plus simple, de plus bête qu’une roue. Encore fallait-il y penser… Sans la roue, où en serait l’humanité aujourd’hui ? La perspective est effrayante ! Prenons aussi l’alphabet. Pour pouvoir commercer avec d’autres peuples, les Phéniciens ont créé quelques signes dessinés, qui, reproduits et copiés, ont donné un langage commun à des cultures différentes. Qu’aurions-nous fait sans l’écriture ? Le monde tel que nous le connaissons aurait-il été possible ? 

Prenons également des concepts politiques comme la résistance non violente. Son fonctionnement est presque simpliste : refuser de coopérer et refuser de rendre les coups reçus. Grâce à ce concept, Gandhi a brisé le joug de l’empire le plus puissant de son époque et libéré son pays. Grâce à ce concept, Martin Luther King a vaincu la ségrégation raciale qui salissait l’Amérique et fait que, quelques années plus tard, un Noir fut élu président des États-Unis.

Les exemples d’idées simples qui ont changé le monde sont innombrables. Il faudrait une encyclopédie pour toutes les répertorier. Peut-être devrait-on s’y employer un jour… 

Tout ça c’est formidable, me direz-vous, mais aujourd’hui, quelle idée simple, quel concept évident pourrait radicalement changer le monde ? 

L’idée que je vais proposer n’est sans doute pas la seule. Il y en a sûrement d’autres. Et contrairement aux zélotes de tous bords qui nous empoisonnent l’existence, je ne prétends aucunement détenir à moi seul la réponse. La mienne commence par une question : qu’est-ce qui fait tourner le monde, quel est le ciment qui lie les nations et les sociétés, quel est le moteur qui pousse les individus à sortir du lit tous les matins et courir toute la journée, même les dimanches et jours de fêtes ? 

L’argent ! 

Mais attendez un peu avant de sursauter, avant de vous précipiter vers des conclusions hasardeuses et hâtives du style “quoi ? Il veut supprimer l’argent ? Mais il est complètement dérangé du ciboulot le pauvre, il a un court-circuit dans le crâne et la matière grise qui a tourné au vinaigre !” 

Je vous l’accorde, vouloir supprimer l’argent serait non seulement une ânerie, mais aussi et surtout une folie. Une ânerie parce que c’est presque impossible. Une folie parce qu’on n’élimine pas un lien puissant entre les individus et les peuples. Il est donc essentiel. Il suffit simplement de changer son rôle. 

L’argent est aujourd’hui un but en soi. On travaille pour faire de l’argent. On produit pour faire de l’argent. On vit pour faire de l’argent. On en est même arrivé à faire de l’argent avec de l’argent. De ce fait, il est devenu roi et nous, ses serviteurs. Le temps est venu d’inverser cette équation. 

L’argent ne doit donc plus être un but, mais devenir – ou plus exactement redevenir ce qu’il n’aurait jamais cessé d’être – un outil. Un formidable outil d’échange, simple, universel et pratique. 

Se faisant, tous les excès qui lui sont liés pourraient petit à petit disparaître. La finance ne serait plus spéculative. La banque redeviendrait un service. Les “marchés” n’auraient plus raison d’être. La production n’aurait plus besoin de détruire l’environnement. L’économie serait orientée vers la richesse des échanges et non des individus. Le statut personnel ne serait plus lié à la fortune mais au mérite. L’éducation des générations futures ne serait plus centrée sur comment gagner sa vie, mais comment cultiver ses talents et fructifier son individualité. 

Alors, qu’est-ce que vous en dites, et si on changeait le monde ?


Publié dans Santé Beauté, Juin 2013