Pensées en vrac

1. Je rêve d’un Liban sans turbans et sans soutanes. Un Liban sans barbes et sans moustaches. Sans armes et sans milices. Sans voitures et sans béton. Sans clans, sans tribus et sans bonnes familles. Sans silicone et sans gourmettes. Sans connes qui s’y trémoussent et sans héritiers qui les achètent. Un Liban des petites gens, qui savent encore se respecter. Qui savent encore rire et aimer. Et surtout qui savent encore la valeur de ce petit bout de terre, jeté au milieu des tempêtes, et qui s’obstine à respirer. 

2. Curieuse république que la nôtre, répressive envers les plus inoffensifs : homosexuels, amateurs de Metal, fumeurs de joints… mais permissive envers les plus dangereux : mafieux, fondamentalistes armés, terroristes notoires… Sans parler d’une censure à deux vitesses : pour un oui ou pour un non, un film est retiré des salles, alors qu’on peut voir en prime-time, sur toutes les chaines de télé, les pires discours de haine…

3. Je ne défendrai le christianisme au Liban que lorsque l’Église, catholique ou orthodoxe, arrêtera de faire payer une fortune aux familles qui veulent inscrire leurs enfants dans ses écoles et ses universités. Quand elle arrêtera de renvoyer des élèves parce que leurs parents n’ont plus les moyens de payer le prix exorbitant et injustifié des frais scolaires ou universitaires. Quand sa gigantesque fortune sera réellement mise au service des plus fragiles et des plus démunis. Quand ses prêtres et prélats ne ressembleront plus à des bourgeois bedonnants mais à l’abbé Pierre. Et surtout quand les chrétiens du Liban arrêteront d’êtres des gros cons réactionnaires, égoïstes et racistes, et appliqueront enfin le message révolutionnaire du Christ.

4. Certains Libanais me fascinent par leur étonnante capacité à dire les pires conneries avec le plus grand sérieux. Les plus spectaculaires sont ces citoyens lambda qui sont convaincus d’être dans le secret des dieux, et qui vous racontent sur le ton de la confidence ce que Poutine a dit à sa femme, ce qu’Obama pense vraiment du conflit syrien, ce que l’Occident planifie secrètement pour la région ou comment le nouveau Président chinois a été obligé de rompre sa liaison amoureuse et clandestine avec le dictateur nord-coréen. Et quand vous leur demandez comment ils savent tout ça, ils vous répondent avec un air entendu : “Walaw…”

5. Le leadership du 14 Mars est comme le capitaine d’une équipe de foot qui, à chaque match, marque contre son camp. Puis se pavane, fier comme un coq, convaincu d’avoir marqué le but du siècle. Ses supporters, en total déni, disent à chaque fois : C’est une erreur, ça arrive, c’est pas grave. Ce cirque dure depuis 8 ans. Et depuis 8 ans, aucun changement, aucune prise de conscience ne se profilent à l’horizon. On pourrait trouver cette histoire risible, mais voilà, à chaque match c’est notre avenir et celui du pays qui sont en jeu. 

6. Touts ces débats inutiles, toutes ces polémiques absurdes, tous ces beaux discours lyriques qui ne veulent rien dire, tous ces slogans creux jetés à la gueule des uns et des autres, toutes ces injures honteuses qui ont remplacé le débat politique… Mais toujours personne pour nous expliquer pourquoi, chaque année, dès qu’il pleut, le pays est noyé sous des torrents de boue, les routes transformées en lacs artificiels, les maisons envahies par les égouts qui débordent. Toujours personne pour nous expliquer pourquoi les gouvernements successifs du 14 et du 8 Mars n’ont jamais rien fait pour résoudre ce problème. Alors que, même si le pays est en proie à toutes les incertitudes, une chose semble pourtant évidente: chaque année, en hiver, il pleut.

7. Ils ont de l’électricité 24h sur 24 ; ils ont de l’eau courante 7 jours sur 7 ; ils ont des routes asphaltées et une infrastructure qui fonctionne ; ils ont des transports publics et des réseaux ferroviaires en bon état ; ils ont une production cinématographique et littéraire en bonne santé ; ils ont une vie culturelle variée et passionnante ; ils ont un patrimoine parfaitement sauvegardé, un urbanisme, une faune et une flore protégés ; ils ont un système éducatif gratuit et ouvert à tous ; ils ont un système social qui tient encore la route ; ils n’ont pas un pays en état de guerre civile et un autre en état de guerre permanente à leurs frontières ; ils n’ont pas de camps de réfugiés surpeuplés et surarmés sur leur territoire ; ils n’ont pas de milices qui s’entretuent quand l’envie leur prend ; ils n’ont pas de routes coupées, des pneus brulés, et une république au bord de l’explosion; maintenant j’aimerai bien que quelqu’un ait la gentillesse de m’expliquer pourquoi les Français sont déprimés.


© Claude El Khal 2013