Avoir l’humanité sélective

Un bus de pèlerins libanais a été la cible d’un attentat alors qu’il se rendait au mausolée de Sayyida Zaynab, haut lieu de l’islam chiite, dans la banlieue de Damas. Six morts et vingt blessés.

Pourtant, sur les murs virtuels de beaucoup de leurs compatriotes, de mes compatriotes, d’habitude si prompts aux effusions en tout genre, sur ces murs d’ordinaire dégoulinants d’indignations et de koullouna, pas un mot, pas une bougie, pas un je suis.

Ils ont dit "je suis Charlie", ils ont dit "je suis Yves", ils ont même dit "je suis Hiba Tawaji", ne se rendant pas compte de l’obscénité d’une telle équivalence. Mettre au même niveau des journalistes ou un jeune homme assassinés et une chanteuse qui passe dans une émission de télé-crochet, il fallait oser…

Un jour viendra où ils diront "je suis Ronron", du nom de leur adorable petit chaton qui s’est cassé la papatte. Ou "je suis Riri", du sobriquet de leur petit dernier qui vient de faire son rototo.

Mais jamais ils ne diront je suis tel ou tel pèlerin libanais assassiné en Syrie. Pensez-vous. Au cas où c’était des partisans du Hezbollah…

Ne les entendez-vous pas dire, en baissant un peu la voix, "ils l’ont bien cherché" ? Ne les entendez-vous pas affirmer que c’est la faute du Hezbollah, qu’il n’avait qu’à ne pas aller se batte en Syrie ? Cela ne vous rappelle-t-il pas les "ils l’ont bien cherché les dessinateurs de Charlie Hebdo avec leurs caricature du Prophète"? Ou même les "ils l’ont bien cherché les juifs", alors que les trains disparaissaient dans la nuit et le brouillard… Avoir l’humanité sélective c’est ne pas avoir d’humanité du tout.

Hier ils ont dit "je suis Charlie", mais aujourd’hui Charlie les aurait vomi.


© Claude El Khal, 2015