Silly Cones

Des obus. Partout. Dans les rues, au supermarché, au restaurant, dans les bars, partout. Et je ne parle pas de guerre.

Bien que la guerre, on nous rabat les oreilles avec depuis des années. Et qu'on nous promet allègrement des larmes, du sang, du feu et beaucoup de poussière.

Guerre civile, guerre totale, ou les deux si on est sage. On nous promet ça pour la fin de l’été, ou l’automne, ou l’hiver. Peut-être bien pour Noël, une bombe au phosphore, ça doit faire joli sous le sapin. Bref, nous attendons que le ciel nous tombe sur la tête, sans que personne ne nous demande notre avis. Nous serons gentiment priés, au moment fatal, de nous transformer en réfugiés, en estropiés, en grands brûlés ou en macchabées. 

Non, je ne parle pas de guerre.

Je parle des obus que portent à la poitrine une grande partie de nos femmes. Et qui explosent des décolletés, forcément trop serrés. Il y en a de toutes les tailles. Des obus de mortier, des obus de 60mm, de 155mm et même de 240mm, ou doit-on plutôt dire 43DD ?

Je comprends que voir ses deux poires mutines se changer peu à peu en oreilles de teckel, n’est pas une perspective réjouissante. Qu’une petite retouche par-ci par-là pour effacer un peu les cicatrices du temps qui passe, n’est pas si grave. Qu’un nez honni soit raboté ou qu’un bide libidineux soit délibidiné, je veux bien. Mais là, c’est de l’abus. De l’abus d’obus, si je puis dire. Et ce n’est que le début, me promet-on. Ça se bouscule, paraît-il, aux portillons des sculpteurs de chairs fraîches et défraîchies.

Vous remarquerez que toutes les protubérances ne sont pas appréciées par nos belles siliconées. Et que ce sont souvent celles qui gonflent leur devanture, qui se tuent à dégonfler du derrière. Mamelliques oui, fessues, non ! Mais ça c’est un autre débat.

Alors pourquoi ? Parce que c’est la mode ? Pas vraiment. Bien que quelques plantureuses se faufilent encore au panthéon des belles quadrichromiques, on est bien loin des formes généreuses du temps jadis. Les belles d’hier sont les boudins d’aujourd’hui. Au régime les rondelettes de Maillol du Jardin des Tuileries ! Chez Weight Watchers, les Botero ! May West ? Allez, à la gym la grosse ! Aujourd’hui, nous assure-t-on, l’humanité –entendez : les pays développés, est plus abricot que melon. Pourtant, l’attrait des hommes pour le lolo généreux ne s’est jamais démenti. De Jane Mansfield à Pamela Anderson en passant par la bien nommée Gina Lollobrigida, les poitrines véhémentes ont fait rêver des générations de mâles boutonneux et déboutonnés. Et en ont inspiré plus d’un, de Fellini à Russ Meyer.

Mais de là à en faire une passion nationale… C’est gonflé.

Alors, encore une fois, pourquoi ? La réponse est sociologique. Il y a, au Liban, cinq femmes pour un homme nous assure-t-on. La concurrence est rude. Il faut donc mettre tous les atouts de son côté pour affrioler l’homme, attirer le mari et séduire le père de sa future progéniture. Pour ça, il faut savoir taquiner le mâle là où ça le titille le plus.

Et contrairement à ce que beaucoup croient, il y a plus attirant que la jupe courte et aguicheuse, que le haut talon qui galbe la jambe et rehausse les fesses. Et même que la bouche pulpeuse, toute remplie de délicieux serments de plaisir.

Il y a le sein. 

Ce sein maternel, gorgé de bon lait. Rassurant et chaud. Réconfortant et nourricier. Parce qu’en finalité, l’homme n’est qu’un bébé mal dégrossi. Qui a simplement troqué ses culottes Petit Bateau pour un costume Hugo Boss, son carambar pour un cigare, et son lance-pierre pour un lance-roquette. Mais le fond, l’essentiel, est toujours le même : l’homme est un enfant qui joue au grand garçon. Et cet enfant là a besoin de sa mère. C’est cette promesse maternelle que porte en lui le sein siliconé. Et ça, les Libanaises, fin psychologues, l’ont bien compris.

Sinon pourquoi appellerait-on ça un implant ma-mmaire ?


© Claude El Khal

Ce texte est extrait de "Chroniques de Beyrouth et d'ailleurs" (édtions Noir sur Blanc)