Combien y a-t-il de Mars dans le 14 Mars?

Au début il y a eu le Mouvement du 14 Mars, auquel est venu se greffer le Secrétariat General du 14 Mars, ensuite on a eu en bonus le Conseil National du 14 Mars, aujourd’hui on nous annonce le Conseil National des Indépendants du 14 Mars.

Tout ce petit monde se réunit, ensemble ou en petits groupes, palabre, discute, puis se fend d’un communiqué qui reprend encore et toujours les mêmes slogans maintes fois rabâchés. Ça fait dix ans que ça dure. Et en dix ans qu’a-t-il concrètement proposé ? Rien. Nada. Zéro. Zilch.

Ça étale les grands principes à longueur de discours et d’articles. Ça nous parle de printemps, de souveraineté, de liberté, de démocratie, de la Syrie, de l’Iran, des Etats-Unis, de la Russie. Ça pointe du doigt les méchants, ça les compare à Hitler, à Belzébuth, à Lucifer. Ça prend des poses, ça brasse du vent, ça juge, ça condamne, ça clame et ça s’exclame.

Mais réfléchir à un vrai programme économique et social, que nenni.

Comment relancer l’économie ? Mystère. Comment réduire le chômage ? Boule de gomme. Quoi faire pour créer des emplois ? Pas de réponse. Quelles sont les différents secteurs à développer, le tourisme, les services, l’agriculture ? Silence sidéral. Quoi faire pour diminuer les inégalités qui se creusent chaque jour un peu plus ? Quoi faire pour résoudre les problèmes socio-économiques liés au nombre alarmant de réfugiés ? Quid de la sécurité sociale des séniors ? Des droits des femmes ? De ceux des travailleurs étrangers ? Au moins une idée ou une proposition pour aider au développement de la Culture locale, pourtant si foisonnante ? Non, toujours rien ?

Tout ça c’est secondaire, vous comprenez. Tout ça c’est les préoccupations du peuple. Et le peuple, franchement, on s’en fout. Le peuple c’est un mot qu’on utilise pour dramatiser ses diatribes, c’est tout. Parler du peuple libanais, ça en jette. Dire le peuple syrien la larme à l’œil et le trémolo dans le stylo, ça donne du panache, ça fait grand humaniste. Mais concrètement, dans le réel – comme ils disent en France – le peuple on s’en bat la cravate.

Parce que, voyez-vous, il n’est pas de bonne famille, le peuple. Il n’est bon qu’à descendre dans la rue et applaudir. Il ne sert qu’à voter du bon côté. La gouvernance ce n’est pas pour lui. Et quand on lui ment et le vole, il est gentiment prié de fermer sa gueule.

Le 14 Mars ressemble de plus en plus à ces clubs privés où se réunit une certaine élite sociale, politique, intellectuelle et, surtout, auto-proclamée. De ces clubs qui sentent la naphtaline et le savon parfumé des toilettes des invités, qui suintent l’hypocrisie et l’auto-suffisance.

Si on allait à la recherche de l’esprit du 14 Mars, celui de 2005, celui du million et demi de Libanais, celui de Samir Kassir et de Gibran Tueni, ce n’est surement pas chez ces gens-là qu’on va le trouver. Du moins pas chez l’écrasante majorité d’entre eux. Quelques personnalités mises à part – comme Nouhad Machnouk qui a démontré à maintes reprises qu’il était un véritable homme d’Etat et Samir Frangieh pour qui j’ai une tendresse particulière – le reste est tout juste bon à jouer dans un remake local du Bébête Show. Et encore.

A quand l'intifadah dans l'intifadah, comme le demandait si justement Samir Kassir ?


© Claude El Khal, 2015