Soutenir Nouhad Machnouk c’est soutenir l’état libanais

Soutenir Nouhad Machnouk c’est soutenir l’état libanais. Demander sa démission équivaut à souhaiter la démission de l’état et de ses institutions, favorisant de facto le principe d’un émirat islamiste au détriment de la République.

Que des personnalités politiques libanaises aillent quémander de l’argent saoudien en échange de leurs bons et loyaux services n’a rien de surprenant, nous dit-on. Une vérité de La Palice. Pas si choquante en somme, vu que l’autre camp fait pareil avec l’Iran. Tout ça c’est dans la logique des choses, il n’y pas de quoi faire sa mijaurée.

Par contre on découvre horrifié qu’on torture dans les prisons libanaises. On crie, on hurle et on s’indigne. On descend dans la rue, on brûle des pneus, on coupe des routes et on demande – que dis-je on demande – on exige la démission du ministre de l’Intérieur, Nouhad Machnouk.

Comme si le fait était nouveau et que des générations entières de politiciens, de journalistes et de religieux n’avaient pas, durant des décennies, fermés les yeux ou regardés de l’autre côté. Comme si le Deuxième Bureau n’avait jamais existé. Comme si les murs de certains ministères ne résonnaient pas encore des hurlements des partisans du général Aoun, des Forces Libanaises et de tous ceux qui résistaient à l’occupation syrienne.

Comme si, depuis, on n’avait jamais tabassé des homosexuels en garde à vue. Comme si le "test de l’œuf" n’avait jamais eu lieu (on insérait un œuf dans l’anus d’un suspect pour vérifier qu’il n’avait pas été sodomisé –ce "test" infamant a depuis été interdit). Comme si le passage à tabac et la torture n’étaient pas pratique courante au Liban dans la quasi-indifférence générale.

Une vidéo filmée par un téléphone portable qui montre des prisonniers islamistes brutalement frappés par des policiers fait le tour de la toile et, eurêka, on découvre que la torture existe au Liban ! Et on veut faire porter le chapeau au ministre de l’Intérieur, Nouhad Machnouk.

Quelle tartufferie !

Depuis son entrée en fonction, en février 2014, Machnouk a fait du dossier des prisons sa grande priorité. Il a lancé une importante campagne d’information, sans précédent dans l’histoire du Liban, pour montrer la réalité du système carcéral libanais. Cette campagne était aussi et surtout destinée à trouver le financement nécessaire pour moderniser les prisons et offrir aux prisonniers un lieu de détention qui ne soit plus une injure à la dignité humaine.

Il a également ordonné le démantèlent de l’émirat islamiste du bâtiment D de la prison de Roumieh. Ce fameux bâtiment où la charia était appliquée, où circulaient téléphones portables et connexions WiFi, et où les forces de l’ordre n’avaient pas droit de cité. Une situation insurrectionnelle intolérable pour n’importe quel état qui se respecte. Sauf pour les gouvernements libanais successifs, lâches ou complices, qui ont laissé faire sans jamais vraiment chercher à y remédier.

Y a-t-il eu des abus inacceptables lors de cette opération ? Bien sûr. Mais le ministre de l’Intérieur n’a pas fait comme beaucoup de ses prédécesseurs et ne nous a pas chanté le refrain traditionnel du "je n’y suis pour rien, mes mains sont liés".

En assumant ses responsabilités, en ordonnant un enquête et en faisant arrêter les coupables, Nouhad Machnouk a démontré encore une fois qu’il était un véritable homme d’Etat, d’une trempe que le Liban n’a pas connu depuis longtemps. Au delà de ses convictions personnelles et de son engagement partisan au sein du 14 Mars dont il fut longtemps l'un des faucons, l’homme s’est révélé être à la hauteur de la mission difficile, presque impossible, qui lui a été confiée au sein du gouvernement.

C’est cet homme-là dont on exige aujourd’hui la démission. Pourquoi ? Alors que d’autres avant lui avaient l’habitude de prendre un café avec des terroristes notoires sans qu’une seule voix s’élève.

Pourquoi cet homme d’Etat est-il soudain devenu l’homme à abattre ? Pourquoi cette campagne malveillante alors que personne, par exemple, n’a demandé des comptes à qui que ce soit quand des militaires libanais ont été kidnappés par Daech et Nosra, quand ses derniers ont été autorisés à fuir avec armes et otages alors qu’ils étaient encerclés par l’armée, et quand les têtes des soldats kidnappés ont commencés à rouler ?

Pourquoi ce silence des personnalités du 14 Mars qui pourtant ne ratent pas une occasion de l’ouvrir et de passer à la télé pour rappeler au bon peuple qu’ils existent encore ? Pourquoi ce manque de soutien à Nouhad Machnouk dans la presse quatorze-marsiste et sur les réseaux sociaux ? Où est donc passé le 14 Mars, lui qui n’arrête pas de se multiplier en différents comités nationaux ? Où donc ont disparus intellectuels et représentants de la société civile liés au mouvement "souverainiste" ?

Et pourquoi ce timing ? Pourquoi cette vidéo pourtant vieille de plusieurs mois a été "fuitée" maintenant ? Alors que Daech et Nosra s’ont acculés par le Hezbollah dans le jurd d’Ersal. Alors qu’ils sont prêts à relâcher les militaires qu’ils retiennent en otage en échange d’un sauf-conduit vers les régions syriennes qu’ils contrôlent.

Pourquoi des drapeaux de Daech et Nosra sont-ils apparus à Tripoli et à Beyrouth et ont accompagnés les slogans hostiles à Nouhad Machnouk ?

Une certaine presse tente de nous expliquer que tout ça est un complot de "l’alliance des minorités" dirigée d’une main sournoise par le régime syrien. Cette même presse nous expliquera sans doute bientôt que le tueur de Charleston est en fait un agent iranien et que Julien Assange c’est Bachar el-Assad déguisé en blond.

Le régime syrien, qui a tout fait pour manufacturer un conflit sectaire au Liban – comme l’affaire Samaha l'a indiscutablement prouvé – doit certainement se frotter les mains. Mais de là à dire qu’il manipule en secret des forces qui lui sont farouchement opposées, il y a un monde.

Cette naïveté feinte ou réelle ne fera pas oublier le véritable danger qui se profile. Si Nouhad Machnouk est acculé à la démission, quelle personnalité sunnite libanaise osera s’opposer aux islamistes ou autres jihadistes ? Qui osera dire un mot, prononcer une phrase ou prendre une décision qui ne soient pas dans la doxa des tenants de la logique de l’Emirat face à celle de l’Etat ? Que restera-t-il du Liban si tel était le cas ?

Nouhad Machouk est aujourd’hui, plus que jamais, indispensable comme ministre de l’Intérieur. Il est la preuve que l’état libanais ne sera pas toujours un état en carton – dawlé cartouniyé – comme me l’a confié un jour un de ses prédécesseurs.

Tenez bon, monsieur le ministre, beaucoup de libanais sont à vos côtés, et ils sont beaucoup plus nombreux que ne pouvez l’imaginer.


© Claude El Khal, 2015