La dérive morale du 14 Mars aura-t-elle donc une fin?

Ils sont nombreux à s’élever contre l’accusation intempestive de complicité dans le meurtre de Georges el-Rif d’une certaine personnalité influente – comme on dit poliment – et du mini lynchage médiatique qui s’en est suivi. 

Ils ont raison. La présomption d’innocence existe encore au Liban. Heureusement.

Mais quand on a fait de l’accusation intempestive son fond de commerce, quand on a participé avec entrain au lynchage médiatique de toutes sortes de personnalités – politiques, religieuses, médiatiques et artistiques, quand on se pose en Grand Inquisiteur distribuant condamnations et anathèmes à tour de bras, quand on s’est essuyé pendant des années les pompes sur la présomption d’innocence, on a la décence de ne pas trop la ramener.

Cependant, certains 14marsistes, plus deux-poids-deux-mesures que jamais, veulent manger le beurre, voler son argent et se taper la crémière.

Si Georges el-Rif était du 14 Mars, pourfendeur de dictateurs, libérateur des peuples, ténor des droits de l’homme, qui savait reconnaître un Médoc d’un Cahors et l’axe du Bien des vilains iraniens, on en aurait eu pour dix ans d’accusations qui volent dans tous les sens.

On aurait montré du doigt le Hezbollah, crié au complot assadiste, clamé détenir des preuves irréfutables de l’implication de Poutine et d’Obama, saisi le Conseil de Sécurité de l’Onu, exigé un tribunal d’exception, #JeSuisGeorges aurait rempli les réseaux sociaux, des diatribes vengeresses auraient été lancées, des passionarias aux semelles rouges et des barbus aux drapeaux noirs auraient battu le pavé ensemble sous le slogan visionnaire "I Love Saïfi".

Et surtout il n’aurait pas fallu vous aventurer à dire "oui mais". Ou mentionner timidement la présomption d’innocence. Ou même, comble de l’infâmie, oser un "peut-être que". Bref, faire exactement ce que les 14marsistes font depuis quelques jours. Les foudres de la Vérité Absolue se seraient abattues sur vos crânes maudits d’infâmes succubes identitaires.

Mais voilà, Georges el-Rif n’était pas du 14 Mars. Georges el-Rif était militant aouniste. Ce qui évidemment change tout. Alors on range son humanisme criard et on sort sa moue dubitative.

Puis on y va de ses "oui c’est tragique, mais faut pas oublier les accidentés de la route, les enfants du Sahel et la vieille voisine qui s’est cassé la hanche en tombant dans l’escalier". On a droit à des "il n’avait qu’à pas provoquer un voyou notoire". Ou des "il l’a un peu cherché". On a droit à tout, sauf au minimum de décence requis face à un crime aussi odieux et barbare.

La dérive morale du 14 Mars aura-t-elle donc une fin ?


© Claude El Khal, 2015