Les droits de l’homme selon Tartuffe*

Mais où sont ces droits-de-l’hommistes acharnés, ces défenseurs farouches de la liberté, ces pourfendeurs de dictatures, ces journalistes contre la violence, ces intellectuels brillants, ces révoltés des beaux quartiers, ces révolutionnaires des salons chics de Beyrouth ?

Où sont-il donc ?

Où est donc leur plume d’habitude si prompte à l’indignation ? Où sont donc leurs diatribes cicéroniennes sur la morale et le droit ? Et leur formules cinglantes de gens qui ont lu des livres et qui peuvent citer de mémoire deux ou trois philosophes suédois ? Et leurs traits de génie si populaires à l’applaudimètre des cons ?

L’Arabie saoudite est nommée à la tête du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies...

Non, ce n’est pas le titre d’un article du Gorafi, ni une couverture de Charlie Hebdo, encore moins une vanne du sémillant fiston Bedos.

C’est la triste et lamentable réalité d’un monde imbécile, corrompu, hypocrite et criminel.

Un monde où Raif Badawi, bloggeur de 39 ans, est condamné à mille coups de fouet. Où Ali Mohammed Al-Nimr, 21 ans, est condamné à mort par crucifixion. Un monde où l’on décapite à tour de bras. Où les réfugiés, les pauvres et les plus démunis n’existent que pour pavaner l’humanisme à la carte de quelques hipsters bien nés et bien pensants qui exposent leurs grands sentiments comme autant de Pervers Pépères à la sortie des maternelles.

Ce monde est leur monde, à ces précieux beyrouthins, intellocrates du mensonge, parangons du faux-semblant. Il leur ressemble et ils y sont comme des poissons dans l’eau. Comme des Pandas accrochés aux arbres. Comme des parasites agrippés à la fourrure des animaux domestiques, se délectant du sang de la bête comme on déguste un Château Pétrus 1967.

Leur monde est hideux. Et aucun fard, aucun artifice, aucun subterfuge ne pourra jamais cacher sa laideur.

Leur monde n’est pas le mien. Parce que dans mon monde, on ne dit pas pis que pendre de l’Arabie et des Saoudiens en privé et le contraire en public.

L’Arabie est un pays fascinant, à la beauté époustouflante, dans lequel j’ai séjourné à plusieurs reprises depuis mon adolescence. Un pays dans lequel j’ai travaillé et pour lequel j’ai accompli plusieurs de mes plus belles réussites professionnelles.

Les Saoudiens sont mes frères, mes semblables. Les Saoudiennes sont mes sœurs. Comment ne pas vouloir pour eux ce que je veux pour moi-même : le droits de vivre décemment et de s’exprimer librement ? On appelle ça le respect de l’autre. Et être conséquent avec soi-même. Deux choses que ces pharisiens libanais semblent ou font mine d’ignorer.

Leur monde n’est décidément pas le mien. Et je doute qu’il le devienne un jour.


© Claude El Khal, 2015

Photo : Raif Badawi (à gauche) et Ali Mohammed Al-Nimr (à droite)
*Tartuffe : "Le Tartuffe ou l'Imposteur" est une comédie en cinq actes de Molière.