Tempête, racisme et business as usual

Tempête de sable, canicule, poussière, pollution, plusieurs morts, des milliers de personnes hospitalisées, alerte rouge. 

Le ministère de la Santé a demandé à ceux qui le peuvent de ne pas sortir, de rester chez eux, les écoles ont été fermées, les institutions publiques aussi, c’est sérieux, c’est grave, c’est une crise nationale.

Pourtant les chantiers continuent. Personne pour penser à les arrêter. Personne pour penser à ces milliers de travailleurs étrangers, en grande majorité syriens, qui triment à ciel ouvert, dans des conditions déjà très précaires, la plupart du temps sans les mesures de sécurité appropriées. Les mesures de sécurité ça coûte cher, vous comprenez, alors les promoteurs immobiliers, pour augmenter leurs bénéfices, réduisent les dépenses comme ils peuvent.

C’est ignoble, c’est honteux, c’est le Liban.

Mais aujourd’hui, après trois jours de chaleur et de poussière, alors que la tempête de sable semble s’installer dans la durée, personne pour avoir la moindre pensée envers ces travailleurs étrangers.

Pas une voix pour s’élever, pas une voix pour demander, rien, le silence le plus absolu, le plus infâme, le plus scandaleux.

On pleure sur le sort des réfugiés. Forcément, les médias du monde entier en parlent. Alors c’est chic. Mais ces autres Syriens, ceux qui construisent nos nouvelles tours, si modernes et si chères, tout le monde s’en fout. Faut croire que ce qui nous touche ne les touche pas. Que ce qui est mauvais pour nous ne l’est pas pour eux.

Alors c’est business as usual. Bosse ou crève. Bosse et crève.

Nos humanistes locaux se taisent. Sans doute occupés à faire les beaux, les intelligents, les spirituels, la larme de crocodile au bord des cils et l’hypocrisie en étendard.

Les fromagistes de la politique discutent et se disputent. Les révolutionnaires veulent révolutionner. Les réformistes veulent réformer. Les manifestants veulent manifester. Le reste veut que ça change sans vraiment savoir comment. Et ça parle de droits de l’homme. Et ça cause d’humanité. Et ça veut changer le Liban.

Mais pas un mot, pas un cri, pas une revendication pour ces travailleurs étrangers. Ces pas comme nous. Ces moins que nous. Nous qui sommes déjà des moins que rien.

Il nous aurait fallu un Emile Zola. Mais ici, des Zola il n’y en a pas. Que des Zara et des Prada. Des égoïstes et des racistes. Des affairistes et des salauds.

Le Liban n’est plus un pays à vendre. C’est un pays à jeter. A la poubelle.

Ça tombe bien, des poubelles il n’y a que ça.


© Claude El Khal, 2015