Qui va pleurer les 85 civils tués à al-Tukhar en Syrie?


Nous avons pleuré les victimes de l’attentat de Nice, nous avons pleuré celles de Paris, de Bruxelles et d’Orlando, mais qui pleure aujourd’hui les 85 civils tués dans une école d'al-Tukhbar en Syrie par les bombes de la coalition internationale?

Qui, dans le monde, pleure les 11 enfants écrasés dans cette école ? Qui pleure les centaines de milliers de victimes syriennes ? Qui pleure le million et demi de morts irakiens ? Qui pleure ceux qui meurent tous les jours au Yémen et en Libye ? Qui pleure l’enfant palestinien de 13 ans décapité par ces rebelles modérés que nous vantaient il n’y a pas si longtemps le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Marc Ayrault, et son homologue américain, John Kerry ?

Nous ne sommes pas égaux dans la vie, et nous ne sommes pas égaux dans la mort. Le monde entier s’arrête, à juste titre, quand des innocents sont frappés en Europe, aux Etats-Unis ou dans quelque autre riche nation. Le monde est choqué. Horrifié. Le monde prie pour telle ou telle ville. Mais le monde s’en fout quand ces innocents sont Syriens, Irakiens, Yéménites, Libyens, Palestiniens. Ceux-là, on est habitué à les voir crever. Encore un attentat en Irak ? Encore des morts en Syrie ? Quelques secondes aux infos. Un chiffre. Une statistique. Et puis bon, qu’est-ce qu’on mange ce soir ?

Quand des Libanais ou des Français meurent assassinés, je ne pleure pas parce qu’ils sont Libanais ou Français. Que m’importe le hasard de leur naissance. Que m’importe l’endroit où les ont mené les chemins imprévisibles de la vie. Que m’importe le Dieu qu’ils implorent dans leurs prières. Que m’importe le degré de pigmentation de leur peau, la couleur de leurs yeux, et même les idées qu’ils ont adopté comme principes de vie, ou qui leur ont été inculquées par des parents, des amis ou des mentors. Je n'ai pas l'humanité sélective.

Ceux qui meurent sont les mêmes. Ceux qui tuent, aussi, sont les mêmes. Ils portent des noms différents, des costumes différents, parlent des langues différentes, saluent et brandissent des drapeaux différents. Mais ils sont pareils. Fondamentalement identiques. Les égorgeurs d’enfants en Syrie, les poseurs de bombes un peu partout, les mitrailleurs fous, les terroristes bien habillés qui, dans des bureaux feutrés, décident de détruire des pays et de déchirer leurs peuples, ne sont que les multiples visages d’un seul monstre. Un monstre affamé qui se nourri de nos peurs, de nos haines et de nos petites mesquineries.

Quand le terrorisme frappe ici ou là, nous ne devrions plus prier seulement pour Nice, pour Bagdad ou Paris, pour Beyrouth ou Bruxelles, Alep ou Orlando. Si prier est notre exutoire, nous devrions à chaque fois le faire pour toutes les villes, tous les pays, toutes les victimes, hommes, femmes, enfants. Sans exception aucune.

Ce qui manque aujourd’hui au monde c’est une humanité unie, qui refuse d’être divisée en tribus antagonistes où chacun attend son tour d’être fauché au hasard. Au suivant, au suivant.


© Claude El Khal, 2016