Parlons-en des droits des Chrétiens au Liban


"Les droits des Chrétiens" sont devenus le fond de commerce de certaines formations politiques libanaises dites chrétiennes. Un slogan qu’on nous ressasse jusqu’à l’épuisement, et qui fait souvent office de programme politique. Mais qu’en est-il vraiment des droits des Chrétiens au Liban? Sont-ils réellement bafoués?

Jusqu’à ce que les ténors de certains partis politiques libanais se présentent comme défenseurs farouches des droits des Chrétiens, je ne savais pas, moi Libanais chrétien lambda, que mes droits étaient bafoués. Je savais, par contre, que mes droits de citoyen libanais étaient foulés aux pieds par la clique multiconfessionnelle qui nous gouverne. Mais mes droits de Chrétien, que nenni!

J’ai donc cherché à en savoir plus. J’ai commencé par le Droit libanais, et j’ai cherché où, selon la loi libanaise, les Musulmans avaient plus de droits que les Chrétiens. Ont-ils accès à une éducation publique interdite aux Chrétiens? A une couverture médicale dont les Chrétiens sont exclus? Y a-t-il même une préférence confessionnelle à l’embauche?

Non.

En réalité, il n’y a, autant pour les Chrétiens que pour les Musulmans, pas d’éducation publique et gratuite qui se respecte (à part l’Université Libanaise, dont il faut saluer les efforts herculéens à offrir, malgré tout, des formations de qualité à ses étudiants), pas de couverture médicale universelle, et encore moins de protection sociale digne de ce nom.

D’autre part, les Chrétiens n’ont-ils pas autant le droit que les Musulmans de célébrer leur foi, de s’exprimer (dans les médias ou ailleurs), d'entreprendre, et de s’organiser (en partis politiques, en syndicats, en ONG, en associations culturelles ou religieuses)?

Il n’y a donc pas de droits chrétiens bafoués, mais un problème de représentativité au sein du pouvoir (législatif et exécutif), selon la division confessionnelle qui régit le Liban. Ce qui n’est pas du tout la même chose.

Mais là aussi, il faut y regarder de plus près.

Prenons les partis politiques dits "chrétiens". En quoi sont-ils chrétiens exactement? Leur projet politique est-il d’appliquer les enseignements du Christ? Leur charte est-elle le reflet des paroles de Jésus?
Préambule: Il est plus difficile à un chameau de passer par le chat d’une aguille qu’un riche d’entrer au paradis.
Article 1: aimez-vous les uns les autres.
Article 2: chasser les marchands du temple.
Article 3: tendre la joue gauche.
Article 4: Nul ne peut servir deux maîtres, Dieu et l’argent.
Etc.

Vu les signes extérieurs de richesse et l'arrogance des apparatchiks de ces partis, on peut aisément deviner le contraire.

D’ailleurs, je ne vois pas en quoi l’élection de Michel Aoun, de Sleiman Frangieh ou de Samir Geagea à la présidence de la République, ou la nomination de Gebran Bassil ou de Samy Gemayel à tel ou tel ministère régalien peut aider un chrétien au chômage à trouver du travail, à payer les frais scolaires et universitaires exorbitants de ses enfants, ou à s’offrir – luxe suprême – des soins médicaux décents.

Il faut noter au passage que les écoles et universités appartenant aux différentes églises (maronites, orthodoxes ou autres) n’hésitent pas à renvoyer dans leurs foyers les élèves dont les parents ne peuvent plus payer les frais scolaires ou universitaires. Idem pour les hôpitaux liés à ces différentes églises, qui ne se gênent pas pour refouler des malades qui n’ont pas les moyens de montrer patte blanche sonnante et trébuchante.

Charité chrétienne? Circulez, y a rien à voir!

Evidemment, on nous sort les années noires de l'occupation syrienne, comme exemple absolu de la marginalisation politique des Chrétiens – marginalisation qu'il faudrait donc abolir aujourd'hui. Mais rien n'est plus faux. Si Michel Aoun était en exil et Samir Geagea en prison, si leurs partisans étaient pourchassés, emprisonnés et torturés, ce n'était pas parce qu'ils étaient chrétiens, mais parce qu'ils défendaient des idées contraires à la Pax Syriana: la liberté, la souveraineté et l'indépendance.

D'autres Chrétiens, complices de l'occupation syrienne, ont été députés, ministres et même présidents de la République. De très nombreux businessmen chrétiens ont fait fortune durant ces années sombres, leurs affaires ont fleuri, leurs enfants ont grandi, leurs femmes ont grossi et leur maîtresses ont ployé sous les bijoux. On a vu des églises s'ériger et des cathédrales se réparer.

Et on oublie souvent que c'est dans un Liban écrasé sous la botte syrienne qu'a eu lieu la visite historique du pape Jean-Paul II.

Après le départ des troupes syriennes, les souverainistes se sont acoquinés avec les collabos, puis se sont disputé entre eux, et maintenant tout ce brave monde palabre et marchande pour avoir la plus grosse part possible de ce gâteau juteux qu'est l'Etat libanais.

A vrai dire, en tant que Chrétien et surtout en tant que citoyen libanais, aucun des principaux partis "chrétiens" (Courant Patriotique Libre, Forces Libanaises, Kataeb) ne me représente aujourd’hui. Et je me sens plus proche d’un sunnite, d’un chiite ou d’un druze laïc et progressiste que d’un cul-bénit orthodoxe (communauté à laquelle j’appartiens officiellement).

A tous les politiciens qui se posent en Zorro chrétiens, j’aimerai dire: si vous voulez vraiment aider les Chrétiens du Liban, arrêtez vos populismes, rangez vos slogans creux et mensongers, et attelez-vous à la rédaction d’un vrai programme politique, économique et social. Un projet pour le Liban, qui va au delà de vos petites ambitions personnelles et de vos calculs d’épiciers.

Et j’aimerai les entendre répondre: ainsi soit-il!


© Claude El Khal, 2016