Les garçons aussi rêvent de princesses


J’ai vu Star Wars au cinéma. Je n’avais pas encore dix ans. C’était à Paris et ça s’appelait "La guerre des étoiles". De la guerre, je ne connaissais que celle qui s’était déroulée autour de moi et à laquelle je venais d’échapper. Des étoiles, je n’avais vu que celles qui scintillaient au loin, les nuits sans électricité. Là, dans cette énorme salle sombre, parmi tous ces gens qui m’étaient étrangers, dans la galaxie lointaine, très lointaine, où nous avions été transportés, elle est apparue.

Habitué aux héroïnes pulpeuses et somptueuses des grandes sagas, cette petite princesse, accroupie devant un robot en forme d’obus, vêtue d’un blanc qui cachait ses formes, les cheveux coiffés en pains aux raisins, n’avait rien pour me séduire. Mais face au géant casqué et masqué, tout de noir vêtu, effrayant à souhait, représentation parfaite du Mal absolu, la petite princesse en blanc s’est montrée courageuse, effrontée, rebelle. Quand ses yeux ont brillés de milles feux, aucune autre au monde n’était plus belle.

La Princesse Leia était née et avait conquis mon cœur d’enfant.

Trois longues années sont passées avant que je ne puisse la revoir. L’Empire avait contre-attaqué et les rebelles étaient en mauvaise posture. La Princesse avait perdu les pains aux raisins de sa coiffure et était tombée amoureuse de Han Solo, le voyou au grand cœur. M’étant déjà identifié à ce Gavroche de l’espace qui aurait échappé à Voltaire et à Rousseau et avait grandi pour devenir un pirate libre et libertaire, je n’en étais que plus heureux.

Le film finissait mal, Luke Skywalker avait découvert que Dark Vador était son père, Han Solo était fait prisonnier, et Leia attendait anxieusement des nouvelles de son pirate. Mais on devinait déjà qu’elle était d’une lignée bien plus noble que celle de la famille Organa qui lui avait donné son nom.

Au retour du Jedi, j’avais déjà seize ans. Les hormones adolescentes régnaient en despotes absolues sur mes fantasmes de lycéen. Comment allaient-elles réagir aux retrouvailles avec la princesse de mon enfance ? Allaient-elles êtres déçues ? Ricaneraient-elles de mes amours infantiles ? C’est le cœur battant que j’entrais dans la salle de cinéma.

Dès qu’elle est apparue, presque nue, les hormones ont rejoint le cœur pour un feu d’artifice homérique. La princesse chaste qui tenait tête à l’Empire était devenue bandante comme une reine de Saba.

L’image de la Princesse Leia a évolué avec mes désirs. Chaque film de la saga Star Wars sortait à une période charnière de mon évolution personnelle. A dix ans, à treize ans, puis à seize ans. Elle a jalonné mon passage de l’enfance à l’adolescence, puis celui de l’adolescence à l’âge de jeune adulte.

Dans le dernier épisode de la saga, sorti plus de trente ans après le Retour du Jedi, la princesse avait mûrie, vieillie. Elle était devenue un général respecté et redouté d’une rébellion qui se reformait. Elle avait vécue une belle histoire d’amour avec son pirate, avant qu’une tragédie commune ne les sépare. La perte d’un fils, passé du côté obscure de la Force. Pour l’homme mûr que je suis devenu, elle est la compagne que j’aurai aimé avoir si j’avais vécu dans une galaxie lointaine, très lointaine.

Aujourd’hui, elle est partie, emportant avec elle une part importante et précieuse de mon imaginaire. Elle était Leia mais s’appelait Carrie Fisher, actrice et auteure incandescente, qui a prouvé que les garçons aussi rêvaient de princesses.


© Claude El Khal, 2016