Ah ces Libanaises!


Ah ces Libanaises! On les voit foncer sur les routes, se frayant un chemin à coups de pare-chocs et de klaxons. On les voit sur les plateaux télés, défendre le verbe haut un régime alimentaire qui leur est cher.

On les voit dans les bureaux, les supermarchés, les usines, les champs, véritables moteurs de l’économie nationale. On les voit dans les restaurants, les bars, les clubs. On les voit dans les écoles, les universités.

On les voit se lancer à l’assaut du pavé, un drapeau à bout de bras, à se pâmer devant le za3im de l’heure. Pourtant, quand il s’agit de défendre leurs droits les plus fondamentaux, il n’y a plus personne. Ou presque. Rares, trop rares, sont celles qui se démènent pour que la République reconnaisse qu’elles sont des citoyennes à part entière.

Imaginez, une femme libanaise n’a pas le droit de transmettre sa nationalité à ses enfants. Imaginez, on peut encore marier des petites filles à des hommes mûrs. Imaginez, les violeurs peuvent voir leur peine suspendue s’ils épousent leur victime.

Les quelques Libanaises qui se battent inlassablement pour leurs droits, malgré les ricanements des hordes de bipèdes poilus, sont admirables de courage et de détermination.

Mais les autres, dans leur très grande majorité, sont plus phallocrates que les mecs. À mouiller aux vroum-vroum de gros moteurs chromés. À comparer leurs double D siliconés. À jalouser leurs voisines, ces salopes qui ont un mari plus gras du portefeuille que leurs ventrus à elles.

Les plus ridicules sont celles qui hurlent contre le fait qu'il n'y ait qu’une seule femme au gouvernement, mais qui ferment leur gueule quand leur za3im à elles, leur za3im adoré, refuse toute législation interdisant le harcèlement sexuel.

Ça me fait penser à Ferial Karim, la Zmerrod de mon enfance, icône télé des années 70 et 80. Vous souvenez-vous d’elle? Cette femme à la terrible dentition chevaline et à la chevelure abondamment bouclée qui terrorisait son mari, Aziz el-Salamanké, et lui flanquait des raclées à l’occasion.

Comme je riais de voir ce pauvre Aziz, éperdu d’amour et couvert de bleus, se prosterner aux pieds de sa douce et tendre, paniqué à l'idée de se prendre une baffe si la Zmerrod n’était pas comblée! Dans un pays comme le Liban, où la femme est un citoyen de seconde zone, toujours dominée, souvent brimée, c’était un spectacle étonnant. Et détonnant.

Zmerrod était, à sa façon, un symbole féministe frappant – si j’ose dire. Et chaque claque donnée à son mari, c’était le machisme libanais qui se la prenait dans la gueule.

C’était avant la guerre. C’était pendant la guerre. Mais où en est-on aujourd’hui?

Les femmes des séries télé libanaises sont devenues des bimbos malheureuses, maltraitées par les hommes. Toujours la larme à l’œil et le collagène boudeur, prises au piège par de vieux salauds, vils et vicelards, qui les ont achetées à leurs parents.

Quel cruel miroir de la réalité!

Parce que depuis les années de guerre, rien, ou presque, n’a changé dans les mentalités et dans les lois. Mais les femmes, elles, ont bien changées. Fini les Ferial Karim triomphantes, l’époque est maintenant aux Haifa Wehbé, ces courtisanes soumises, siliconées, botoxées, et complètement redessinées au scalpel.

L’époque est à l’opportunisme de la gent féminine libanaise. Pas un opportunisme guidé par un féroce et légitime besoin d’être l’égale de l’homme. Mais celui, nauséabond, d’être son meilleur investissement. Femme-objet de luxe, qui développe sa petite entreprise personnelle : son corps, désormais coté en bourse. Une époque où la seule question qu’un homme doit poser quand il va demander une fille en mariage est : "c’est combien?"

"Mon bijou, mon droit" disait la publicité d’un joaillier local, montrant une femme désespérée, presque suicidaire, tant qu’elle n’a pas reçu son diamant ou son émeraude. Ironie suprême, émeraude en arabe se dit Zmerrod.

De la Zmerrod vénérée par un mari apeuré à la poupée gonflable qui se loue au plus offrant, triste et lamentable virage qu’a pris le Liban.

Mais qui en est responsable? Les Libanais? Non. Ils ont toujours été comme ça, cons comme des footballeurs, aussi progressistes que des gardes suisses.

Les Libanais, si vous creusez bien, vous y trouverez toujours un taliban qui sommeille. Partagé entre son désir primaire d’être le maître, sous le prétexte idiot qu’il a du poil aux roubignolles, et son fantasme prépubère d’être un grand séducteur, tombeur de playmates.

Alors qui? Les Libanaises? Malheureusement oui. Pas toutes évidemment, mais la plupart.

Ces Libanaises qui ont oublié leur dignité la plus fondamentale, celle d’être des citoyennes à part entière. Ces Libanaises qui s’en vont chasser le mari, le regard toujours vers le compte en banque du gibier à gourmette et à cigare. Dont l’amour fluctue au gré des marchés financiers.

Ces Libanaises, ennemies des femmes et de leur cause.

Surtout quand on sait qu’elles sont majoritaires au Liban et qu’elles ont le droit de vote. Et comme le pays est un régi par un système parlementaire, elles pourraient facilement en diriger le destin.

Mais on en est loin, bien loin. Pour l’instant, j’aimerai adresser aux Libanaises le message suivant : descendez dans la rue et restez-y jusqu'à ce que l’égalité avec les hommes vous soit enfin accordée. Faites la grève, n’allez plus au boulot, paralysez le bon fonctionnement de cette société patriarcale et archaïque. Obligez vos maris, vos fiancés, vos amants à faire pareil. Et s’ils refusent, quittez-les, ils ne vous méritent pas.

Allez voir les leaders et les députés de tous les camps et faites leur comprendre que s'ils ne font rien, ils n'auront aucune voix féminine aux prochaines élections. Et que vous allez tout faire pour obliger les hommes à vous imiter. Même la grève du sexe.


© Claude El Khal, 2017