En attendant Gadot


Gal Gadot est israélienne. Elle incarne Wonder Woman sur grand écran. Le film va bientôt sortir au Liban. L’invasion sioniste de nos salles de cinéma va commencer. Il faut résister et interdire cette infamie. Ainsi en a décidé le ministre libanais de l’Économie et du Commerce.

Quand on a annoncé l’adaptation cinématographique de Wonder Woman, j’étais inquiet. Wonder Woman c’est Lynda Carter et Lynda Carter c’est Wonder Woman. Ah Lynda! Ses grands yeux bleus, son wonderbra et son lasso dorés qui ont longtemps peuplé mes fantasmes adolescents les plus inavouables.

Et puis, au détour d’une scène de 'Batman vs Superman', Gal Gadot est apparue en costume d’amazone. Vision. Choc. Émoi. Fini Lynda Carter. Oubliée. Bannie.

Mais voilà, il y a un hic : Gal Gadot est israélienne. Et Israël est l’ennemi du Liban. Donc Wonder Woman est notre ennemie à tous. Bannissons-la de nos salles, bannissons-la de nos cœurs, bannissons-la de nos fantasmes.

A cet effet, le ministère de l’Économie et du Commerce a, comme l’a indiqué son communiqué, "adressé une note au bureau principal de boycott des produits israéliens, à Damas, en vue de faire inscrire le nom de Gal Gadot et de tous ses films et œuvres artistiques sur la liste noire".

Ce qui est pour le moins absurde, le film lui-même n’étant pas un produit israélien mais américain, et que la seule œuvre à proprement parler de la belle Gadot est son interprétation fougueuse et épicée du rôle de Wonder Woman.

Selon cette logique, nous devrions également bannir les films avec Nathalie Portman. Elle aussi est israélienne. Et ceux avec Scarlett Johannson, qui encourage les colonies illégales en Cisjordanie en faisant de la publicité pour leurs produits.

Sans oublier bien sûr les œuvres de tous ceux qui ont soutenu un jour ou l’autre, d'une façon ou d’une autre, l’Etat hébreux. Interdisons les films de Steven Spielberg et de Woody Allen, n’écoutons plus Léonard Cohen, ne rions plus avec Gad Elmaleh.

Il y en a même qui disent qu’à l’intérieur de chaque juif, il y a un sinistre sioniste qui sommeille. Même ceux qui ne sont plus de ce monde mais dont l’œuvre insidieuse continue de corrompre les esprits. Allez hop, à l’index Jean Ferrat! Au pilori Barbara! Au feu les tableaux de Chagall, le Capital de Karl Marx et la théorie de la relativité de ce diable d’Einstein!

Et le prochain qui ose évoquer les aventures de Rabbi Jacob, attention à ses fesses.

Toujours selon cette logique, je me demande si ce ministre zélé va aussi s’attaquer aux compagnies aériennes qui desservent Israël - Air France, British Airways, Turkish Airlines ou Royal Jordanian - et leur interdire notre espace aérien. Ou s’il va bouter hors de nos frontières les multinationales qui soutiennent sans détours l’ennemi officiel du Liban : Coca-Cola, Nestlé, L’Oréal, Timberland, Nokia ou MacDonald.

Interdire les Bic Mac et les Chicken Nuggets, en voilà une bonne idée!

Va-t-il aussi refuser toute interview aux médias français appartenant à Patrick Drahi, citoyen franco-israélien? Ou interdire aux correspondants de BFMTV, L’Express ou Libération l’accès à notre si beau mais si tumultueux pays?

Allez monsieur le ministre, un peu de courage. Ce n’est pas très héroïque d’interdire un film de super héros. Attaquez-vous aux grands, aux puissants.

Comme ceux, par exemple, qui viennent d’ouvrir un corridor aérien entre Riyad et Jérusalem pour permettre à Donald Trump de s’y rendre directement, sans escale désagréable. Reconnaissant de fait l’Etat d’Israël et par la même occasion reléguant aux oubliettes le rêve arabe d’une Palestine retrouvée.

Fustigez, monsieur le ministre, les leaders du monde entier qui clament à chaque occasion leur amour inconditionnel d’Israël. Et surtout n’oubliez pas d'inclure l’Iran qui, pendant sa guerre contre l’Irak de Saddam Hussein, achetait en loucedé des armes aux sionistes honnis.

Refusez aussi de vous rendre aux sommets, réunions et forums internationaux où vous risquez de croiser votre homologue israélien. Ou pire, de le voir s’incruster dans un de vos selfie, comme avait fait la sournoise Miss Israël à l’ingénue Miss Liban, il y a deux ou trois ans.

Pendant que vous y êtes, apprenez donc aux autres officiels libanais à épeler correctement le mot Palestine. Parce qu’un panneau routier sur la route de Saïda qui indique "Palastain", ça la fout mal pour la "patrie de la Résistance", seul pays arabe qui s’est libéré de l’occupation militaire israélienne.

Quand vous aurez fait tout ça, si jamais vous le faites, demandez l'interdiction de toutes les Wonder Woman que vous voulez. Ça aura l'avantage d'être cohérent et moins hypocrite. Mais pour l’instant, soyez gentil, laissez nous fantasmer en attendant Gadot.


© Claude El Khal, 2017