Macronista du Liban


Les macronista du Liban n’aiment pas Emmanuel Macron, ils l’adôôrent. Il est jeune, il est beau, il sent bon le plein d’euros. Et en plus il est sportif. Après s’être vigoureusement mis en marche, il a gravi, léger comme Hermès, quatre à quatre les escaliers de l’Elysée.

Depuis que leur héros a été élu président de la République française, les macronista libanais ont, au moins, un orgasme par jour. Dès que les chaînes d’info en continu relatent le moindre de ses gestes, la moindre de ses décisions, les macronista sont saisis de soubresauts, leurs yeux s’illuminent, leur bouche s’entrouvre, leur cœur bat la chamade, et leur âme entre dans une extase dionysiaque.

Les macronista sont des dévots, des exaltés. Leur foi en le nouveau messie élyséen est sans limite. Ne venez pas les embêter avec des choses ennuyeuses et triviales comme les faits et la réalité, ou les détails scabreux des politiques économiques et sociales. Parlez-leur plutôt de ses yeux bleus, de son sourire charmeur, de ses cheveux ondulés, et des promesses d’un quinquennat heureux, main dans la main, dans un restaurant du front de mer.

Chez les macronista libanais, on trouve autant d’hommes que de femmes, autant d’homos que d’hétéros, autant de barbus que d'épilées du maillot. Ils sont avant tout des gens de bonne famille, issus de la bourgeoisie libanaise et de l’intelligentsia francophone et francophile. De véritables Lumières parmi les ténèbres d’un Liban accroché à sa shisha, vêtu d’un marcel douteux et de babouches trouées.

Les macronista n’aiment pas les shishas, les marcels douteux et les babouches trouées, à moins que les babouches ne viennent de Khan el-Khalili, ce souk cairote coloré et pittoresque où il fait bon prendre des selfies.

Ils n’aiment pas non plus les politiciens libanais. "Beurk", vous disent-ils avec cette sagacité si particulière à ceux pour qui la langue française n’a plus aucun secret. Selon eux, les politiciens libanais sont l’antinomie absolue des anges macronistes. Et ne vous avisez surtout pas de leur rappeler que ces derniers ne sont pas si différents de nos diables locaux, ou que la quasi-totalité de la classe politique libanaise a soutenu leur gourou pendant la campagne présidentielle. Ils vous répondront : yiii! Un yiii catégorique, définitif, sans appel.

Les macronista voient les choses à travers un prisme bien à eux, où la logique la plus élémentaire est bannie à jamais.

Quand, par exemple, un politicien libanais dit du mal d’un autre politicien libanais puis accepte de faire partie du même gouvernement, c’est un hypocrite, un fourbe, un menteur, un salaud, une ordure. Mais quand un macroniste fait la même chose, c’est un homme ouvert, tolérant, altruiste, véritable Gandhi du nouveau siècle.

Quand un politicien libanais change de camp et passe chez l’adversaire, c’est un traître, une girouette, sans scrupules, sans principes et sans honneur. Mais quand un macroniste fait de même, c’est un génie de la politique, un preux chevalier de la démocratie universelle.

"Haro sur les politiciens libanais", nous ordonnent les macronista, en oubliant bien vite qu’ils ont aussi voté pour eux. "Hourra aux macronistes", s’écrient-ils, en sachant parfaitement qu’ils n’auront pas à subir les conséquences de leur politique. Et qu’importe si des Français en souffriront, ils n’auront qu’à se mettre au travail et à ne plus jouer aux assistés.

"C’est fainéant un Français", vous chuchoteront-ils, avec l’air entendu des grands voyageurs qui savent comment le monde est fait, mais un peu honteux de déroger au politiquement correct si prisé dans les salons élégants et sur les réseaux sociaux.

Le peuple français, ils ne l’aiment que sous la plume de Victor Hugo. Gavroche, c’est tellement chic comme prénom. Et Cosette, et Fantine, c’est si délicieux à prononcer. Quant au peuple libanais, il ne trouve grâce à leurs yeux que lorsqu’il dit ce qu’ils disent et pense ce qu’ils pensent. Sinon il ne s’appelle plus le peuple, il s’appelle la masse. Cette masse vulgaire et mal habillée qui pollue souvent le paysage de leur Liban chéri.

Un Liban chéri qui attend la venue tant espérée d’un Macron local pour le délivrer des affres de la corruption, des shishas, des marcels douteux et des babouches trouées.


© Claude El Khal, 2017