Voilà le pays dans lequel nous vivons


Roy Hamoush avait tout juste 24 ans. Il était né sous le signe des gémeaux et venait de célébrer son anniversaire. Des voyous à bord d’une voiture sans plaque d’immatriculation et aux fenêtres teintées, comme il en existe par centaines sur les routes libanaises, ont décidé que le jeune ingénieur avait soufflé ses dernières bougies. Ils l’ont froidement abattu d’une balle dans la tête, sans autre raison qu'un banal et léger incident de la circulation.

Tout le Liban a été choqué par ce crime innommable. Enfin presque tout le Liban. Les responsables politiques sont resté bien discrets, eux qui ne perdent jamais une occasion de pousser des diatribes interminables sur chaque chose et son contraire. Leurs réactions n’ont pas été à la hauteur des fonctions qu’ils occupent ni à la mesure de la tragédie qui s’est déroulée, cette terrible nuit de juin, sur la route de la Quarantaine au nord de Beyrouth.

Roy Hamoush

Les voyous ont certes été rapidement arrêtés, les officiels ont évidemment promis une justice exemplaire, ils ont bien sûr parlé d'appliquer la peine de mort pour satisfaire une opinion publique vengeresse, mais n'ont pipé mot sur les racines du mal. Les raisons pour lesquelles Roy Hamoush ne fêtera jamais plus son anniversaire : les armes illégales et le sentiment d'impunité chez les voyous.

Pourtant, le monde politique libanais connaît bien la réalité des armes illégales. Mais ça ne semble pas le préoccuper outre mesure. Il y a plus d’un an, lors de grandes funérailles à Zahlé, tout ce beau monde a assisté, sans broncher, à une explosion de coups de feu tirés par des miliciens en deuil. Ce concert de mitraille au vu et au su des autorités n’est qu’un incident parmi tant d'autres où l’Etat s’est fait tout petit face aux caïds armés.





Peu importe si les armes illégales pullulent dans le pays et tuent, au hasard, des Roy Hamoush et des Sara Sleiman, la jeune enseignante de 24 ans abattue par un agité de la gâchette il y a quelques semaines devant une boite de nuit, à Zahlé justement. Comme au temps de la guerre, quand les voyous faisaient la loi et que l’Etat n’était plus qu'un symbole poussiéreux et désuet. 

Sara Sleiman

Quant au sentiment d'impunité chez les voyous, il est amplement et regrettablement justifié. On peut, si on est un tant soit peu couvert en haut lieu, frapper des manifestants à coups de pierre, attaquer les locaux d'une chaine de télévision au cocktail molotov, se balader avec un flingue à la ceinture et l'agiter à l'envie, ou tirer en l'air à la kalashnikov sans être véritablement inquiété, malgré les innombrables victimes des balles perdues.

Par contre, si un Libanais lambda, qui ne fait partie d’aucune milice et dont la seule arme est un clavier, ose écrire un tweet diffamatoire contre l’un des pontes qui nous gouvernent, toute la République se met en branle et le saligaud est aussitôt arrêté et déféré devant les autorités compétentes. 

Ces mêmes autorités qui viennent de faire parler d'elles en réagissant de façon hallucinante à la tragédie qui a précédé de quelques jours l’assassinat de Roy Hamoush : le décès de Farah Kassab sur la table d’opération d’un chirurgien esthétique de renom. Par la voix d’un juge des référés, elles ont tout bonnement interdit aux journalistes de citer le nom du chirurgien, sous peine de se voir infliger une amende équivalente à 30.000 dollars! Foulant ainsi aux pieds la Constitution libanaise et la liberté d'expression qui y est inscrite. 

Farah Kassab

C’est choquant, me direz-vous. Oui, mais il y a bien pire : pendant que les familles de Roy Hamoush, de Sara Sleiman et de Farah Kassab pleuraient et enterraient leurs êtres chers, la classe politique libanaise continuait, comme si de rien n’était, à se chamailler sur la future loi électorale. Une loi que chacun veut tailler à sa mesure, pour mieux asseoir son pouvoir et assurer celui de sa descendance. 

Mais que fait le peuple, me demanderez-vous?

Quel peuple? Celui qui continue, malgré tout, d’applaudir les roitelets confessionnels qui se partagent le Liban? Celui qui s’indigne le temps d’un buzz avant de replonger dans une léthargie héritée de ses parents et de ses grands-parents? Celui qui trouve dans chaque tragédie une raison supplémentaire de se diviser et de se déchirer? Ou bien celui qui a brandi lances et fourches virtuelles, et a massivement partagé sur les réseaux sociaux la photo d’un homme qui n’a pourtant rien à voir avec le meurtre de Roy Hamoush, exigeant qu’on le pende en place publique?

Voilà le pays dans lequel nous vivons. Un si beau pays, béni des dieux et maudits par les hommes. Un véritable petit paradis terrestre, vert et fertile, mais qui a le défaut d'être habité.


© Claude El Khal, 2017