À propos de l’arrestation de Hanady Gerges


Une jeune libanaise, Hanady Gerges, a été jetée en prison pour avoir publié sur Facebook un post qu’un ministre a jugé diffamatoire.

La diffamation est un délit. Il est donc parfaitement normal qu’une personne diffamée puisse porter plainte et que l’insulteur ou l’insulteuse soit poursuivi en justice. Mais cette manie d’arrêter illico presto et de mettre aux fers des individus, sans autre forme de procès, juste parce qu’un ministre a passé un coup de fil à qui de droit, est digne des pires républiques bananières.

Insulter quelqu’un, qu’il soit ministre, député ou simple citoyen, sur les réseaux sociaux ou ailleurs, n’est en aucun cas acceptable. L’injure ne s’inscrit pas dans le cadre de la liberté d’expression et n’honore en rien celui ou celle qui s’y répend. C’est la forme la plus primaire, la plus inutile et la plus contre-productive de la contestation politique.

Mais traiter des jeunes hommes et femmes qui ont dérapé sur les réseaux sociaux comme de dangereux criminels et les emprisonner avant que la justice n’ait suivie son cours est inacceptable dans un Etat de droit. Surtout que les politiciens, qui s’offusquent si facilement et jouent aux carmélites effarouchées quand des citoyens les malmènent, sont les champions toutes catégories de la diffamation et de l’injure.

Ils s’insultent copieusement à tout bout de champ et n’hésitent jamais à s’envoyer à la figure les pires noms d’oiseaux et les plus graves accusations, et même à se rentrer dedans en direct à la télévision. Pourtant aucun d’eux n’est jamais inquiété. Aucun n’est convoqué au poste de police. Aucun ne passe la nuit derrière les barreaux. Par contre, certains se voient offrir une promotion et deviennent ministres.




Si nous vivions dans une république exemplaire, un havre de politesse et de savoir-vivre, une sorte de Suisse extra-plus, on pourrait éventuellement comprendre que les insulteurs invétérés soient vilipendés et embastillés.

Mais dans un pays où les besoins les plus basiques des citoyens sont ignorés, où l’eau est rare dans les robinets et l’électricité une touriste capricieuse, où le parlement proroge son mandat trois fois de suite niant ainsi aux Libanais leur droit constitutionnel de voter et choisir leurs représentants, où la corruption est aussi répandue que les cigares aux lèvres des hommes et le silicone aux poitrines des femmes, où politiciens et affairistes de toute sorte s’enrichissent de façon éhontée alors que le reste de la population s’appauvri chaque jour un peu plus, ce deux poids deux mesures face à la diffamation et l’injure est tout simplement inadmissible.

D’un côté il y a les princes, intouchables, qui peuvent tout se permettre – et qui se permettent tout sans le moindre remords – et de l’autre, le commun des mortels qui n’a pas droit à grand chose. Voilà la triste et lamentable réalité d’un Liban à la dérive, dirigé par des marins d’eau douce qui se prennent pour Magellan. Et qui se conduisent comme si le pays était leur propriété. Comme si les citoyens étaient des nuisibles à peine tolérés. Surtout quand ces derniers refusent de courber l’échine et de chanter les louanges des petits tyrans qui nous gouvernent.


© Claude El Khal, 2017