Un Acteur est mort


Quand un voleur, un escroc, un assassin ou un corrompu trépasse, c’est le grand soupir national. On pleure en direct live. On funéraire, on crocodile, on prend la mine de l’affecté, de qui s’en remettra pas de la disparition d’un si grand homme.

Les télés, ces poubelles new look, nous font la ronde des amis-fistons-nièces-neveux-collegues-complices du grand disparu.

Les rues, ces autres poubelles, s’ornent du visage du trépassé, exaltant son âme pure, sa grandeur, la beauté de sa moustache et la noblesse de son poil.

Derrière l’illustre cercueil, l’hommage vibrant d’un peuple reconnaissant, se confondant en « merci de m’avoir enculé » et en « pardon de n’avoir pas assez baissé ma culotte ».

Peuple de cons qui ne méritent rien. Peuple de trous du cul qui se prennent pour des nombrils. Peuple d’ignares, de poilus et de bachibouzouks. Qui vend ses filles et ses fils, sa terre et son honneur. Peuple qui s’achète en soldes au marché des dupes…

Peuple qui laisse mourir ses acteurs. De faim, de soif, ou d’oubli.

Au pays des putes et des maquereaux, les acteurs meurent pauvres. Eux qui ont eu le malheur de n’avoir volé personne. Qui n’ont pas eu la présence d’esprit de nous offrir quelques petits massacres juteux. Eux qui n’ont jamais voulu devenir député ou ministre.


Eux qui sont coupables d’avoir donné du rire et du bonheur à des générations entières. Souvent jusqu’à leur dernier souffle.

Mahmoud Mabsout, le Fehmein de notre enfance, est parti ce matin. Emportant avec lui une grande part de ce qui nous restait d’innocence.

Grâce à lui, alors que la guerre commençait à casser nos vies, nous étions hilares quand il fallait trembler de peur. Nous pleurions de rire au lieu de pleurer de terreur.

Mahmoud Mabsout devrait être décoré de l’Ordre du Cèdre, pour services rendus à la nation. Mahmoud Mabsout devrait avoir une avenue à son nom. Que dis-je une avenue ? Un quartier, une ville, une région entière !

Mahmoud Mabsout est tombé sur scène. Comme Molière. Il mourra quelques heures plus tard. Comme Molière.

Jusqu’au bout, il aura été ce clown magnifique, à la moustache et au bagout légendaires. Forever Fehmein.

« Yii, Fehmein, comme il était vulgaire », s’exclament les précieuses, la main sur la silicone et la bouche en trou de serrure.

Oui, mes chéries, au pays où vous représentez le chic, Fehmein était la vulgarité même. Une belle et noble vulgarité. D’une élégance que vous n'aurez jamais.


© Claude El Khal, 2011