Fils de…


Je n'aurais pas aimé être fils de dictateur.

Fils d’empereur romain, par contre, pourquoi pas ? Je me serais bien vu couler des jours heureux dans l’opulence et la luxure, entouré de belles esclaves prévenantes et callipyges, à écrire des poèmes épiques et à philosopher sur l’état du monde. Un mélange de Mécène et de Marc Aurèle.

Mais fils de dictateur, jamais !

Parce qu’en fin de compte, faudrait bien lui succéder un jour, au vieux. Prendre la relève. C’est dans la nature des choses. Les fils remplacent les pères. Et épousent leur métier. Étrange tradition freudienne. Les fils de médecins deviennent médecins, les fils de rentiers deviennent rentiers, les fils d'ouvriers deviennent chômeurs, et les fils de pute finissent dans la finance.

De même, les fils de dictateurs deviennent dictateurs à leur tour.

Je ne sais pas si vous savez, mais dictateur, c’est vraiment pas évident comme métier. Pas évident du tout.

D’abord, faut aimer sa gueule. Sinon ça risque d’être très dur. Parce que la gueule du dictateur, elle est partout. Dans les rues, les bureaux, les écoles et les maisons. Sur les billets de banque, les façades d'immeubles et les ronds-points. On la voit même en décalcomanie sur les joues rondes des touts-petits. Et surtout, il ne faut pas regarder la télé. Parce qu’à la télé, ils en servent du dictateur. Matin, midi et soir. Et dix fois entre les repas. Sa vie, son œuvre, la taille de sa moustache et la musculature de ses mollets.

Puis c’est fatiguant, une vie de dictateur. Faut toujours donner des ordres. Tout le temps. On ne peut pas faire comme ces présidents démocrates qui se la coulent douce en laissant leurs ministres faire tout le boulot. On ne peut même pas fantasmer sur une fin de mandat qui approche. Une retraite tant attendue et si bien méritée. Avec, à la clef, un joli job honorifique chez un fabricant d’armes. Assorti d’un joli salaire pas moins honorifique.

Pas de fin de mandat pour le dictateur. Pas de retraite. Pas de salaire honorifique. Quand on est dictateur, c’est pour la vie. Une vraie servitude.

A moins que le peuple n'en décide autrement.

Quel ingrat, le peuple. Il ne sait pas ce qui est bon pour lui. Faut toujours tout lui expliquer. Et quand il ne comprend pas, faut lui mettre des coups de poing sur les i, et lui arracher quelques ongles. Si ça ne suffit pas, une bonne salve d’obus sur le foyer familial, ça calme son homme.

Parce que si on le laissait faire, au peuple, la patrie sombrerait dans le chaos dégénéré des sociétés dissolues et permissives, qui ne savent plus respecter leur chef, chanter ses louanges, et ramollir du sphincter en sa présence.

Mais bon, il est parfois têtu, le peuple. Il ne veut rien entendre. Alors il fait la révolution. Et le fils du dictateur finit sur la même broche que son auguste géniteur.

Avant même qu’il n’ait eu le temps de s’offrir un bon petit bain de sang.

Quelle tragédie !


© Claude El Khal, 2012