Le sexe des femmes


Si le sexe des femmes parlait, que dirait-il ?

Que nous raconterait-il ? Quels secrets dévoilerait-il ? Comment s’exprimerait-il ? Quels mots s’échapperaient de ses lèvres humides ?

On imagine celui d’une ingénue, timide et maladroit, hésitant à former ses phrases, et à les énoncer de façon intelligible. Ou bien celui d’une fille à soldat, dont la gouaille n’aurait rien à envier à l’Arletty de l’Hôtel du Nord. Alors que celui de la Reine d’Angleterre se suffirait peut-être d’un « we are not amused ».

On imagine les plus hirsutes chanter de vielles balades de Joan Baez ou de Maxime Le Forestier. Les plus épilés, prendre des accents aristos. Et les plus rasés, minauder d’une voix de petite fille attardée.

Que dirait le sexe d’une femme qui a connu beaucoup d’hommes ? Ferait-il un inventaire à la Prévert de toutes les verges qui l’ont visité ? Ricanerait-il de ces nouilles à moitié cuites, coquillettes, tortellinis, ou longs spaghettis mollassons, qui se sont échinés en vain à lui donner un peu de plaisir ? Se souviendrait-il avec effroi de l’œil cyclopéen de ce gros colosse gorgé de sang qui l’a malmené ? Ou bien serait-il ému à l’évocation de cette bite parfaite, idéale, magnifique, qui l’a tant fait jouir, mais qui appartenait malheureusement à un salaud. Sans compter toutes ces têtes engoncées dans un caoutchouc protecteur, comme des cambrioleurs de pacotille venus dérober un illusoire butin.

Que dirait celui d’une femme qui n’a connu qu’un seul homme et sa petite queue fripée ? Mais qui a vu passer, l’un après l’autre, année après année, tous ces bébés gélatineux, le déformant à jamais…

Que confesserait celui d’une jouvencelle, qui découvre les jeux interdits à l’aide d’un doigt à l’ongle raccourci ? Celui de la ribaude, allergique aux triques, qui accueille avec bonheur la langue habile d’une autre femme ? Celui de la jeune pucelle, offerte aux appétits d’un mari qu’elle n’a pas choisi ? Celui de l’épouse battue, violée, déshonorée, et meurtrie ?

Mais, heureusement, le sexe des femmes ne parle pas.

Parce que le sexe, ce n’est pas matière à commérage, caquetage, et bavardage. Ce n’est pas un sujet de conversation de salon, autour d’un thé au citron ; de lavoir, autour d’un caleçon aux tâches coriaces; ou même de salle d’attente, autour d’un magazine féminin. Bref, le sexe n’est pas une affaire de femme.

Parce que le sexe, c’est du sérieux.

Mais attention, pas n’importe quel sexe. Le sexe chaste. Le sexe utile. Celui de la perpétuation de l’espèce. Celui du « croissez et multipliez ». Pas le sexe futile. Pour le plaisir. Non, ce sexe-là est maudit, honni, banni.

Le sexe ne doit exister que dans le cadre sacré du mariage. Celui des draps blancs maculés de sang de la vierge officiellement intronisée femme, épouse, puis mère. Dont les droits se métamorphosent par l’acte coïtal en devoirs, puis en servitude. Une créature docile qui doit pondre des marmots et baisser les yeux quand on lui parle. Et qui, surtout, doit être interdite de ce terrible péché, cette insulte suprême à la décence et à la morale : le plaisir.

Quoi ? Une femme qui a un orgasme ? Au bucher, Belzébuth ! Le devoir conjugal, par contre, ça s’est sacré !

Le destin sexuel d’une femme doit se résumer à accepter gracieusement et sans moufter la semence du mâle, même s’il y va un peu à la hussarde, et finisse par lui ronfler dans l’oreille, l’écrasant de son gros corps mou, plein de bière et d’idées reçues. Avec pour seule satisfaction, celle de porter en elle l’héritier tant espéré, qui deviendra avec l’âge, le clône imbécile et poilu de son fier géniteur.

Et si c’est une fille que la malheureuse enfante –avec les femmes on ne sait jamais, on dira que ce n’est pas grave. Puis on priera en secret pour qu’elle devienne une belle jeune fille. Une jeune fille qu’on pourra investir dans un mariage utile. Et pas un boudin qui restera longtemps une bouche de plus à nourrir.

Oui, heureusement que le sexe des femmes ne parle pas.

Parce que s’il parlait, ses révélations pourraient renverser toutes les valeurs qui régissent nos sociétés. Et faire tomber les colonnes viriles du temple. Le temple des hommes. Un temple bâti sur le principe fondamental de l’asservissement des femmes.

Si le sexe des femmes pouvait parler, il changerait le monde.

À Jamais.


© Claude El Khal, 2012