SANTÉ BEAUTÉ - Chronique nº 12 : Nefrah Mennak


Je vais finir par croire que mon vrai nom est Nefrah Mennak.

Où que j’aille, où que je sois, on m’interpelle avec ces deux vocables, souvent accompagnés d’un généreux sourire doublé d’un discret hochement entendu.

Que ce soit en famille, entre copains, chez le coiffeur, chez le boucher, chez l’épicier, au boulot, au restaurant, au cinéma, en taxi ou dans l’ascenseur. Que ce soit un jour ouvrable ou un dimanche, que ce soit à Noël ou au jour de l’An, à Pâques ou à la St-Valentin, à un mariage ou à un baptême…

Même aux funérailles, il y en a toujours un, il y en a toujours une, qui va oublier la contrition réglementaire et obligatoire pour me chuchoter à l’oreille : « Nefrah Mennak ».

« Nefrah Mennak » est une expression qui peut être traduite par « qu’on se réjouisse de toi ».

Mais qu’on se réjouisse de quoi exactement ? D’un succès professionnel ? De la réalisation tant espérée d’un vieux rêve ? De la découverte salutaire d’une oasis après une longue traversée du désert ? De la transformation du plomb en or ?

Non. Tout ça n’est qu’accessoire. Superflu. Anecdotique. L’essentiel, lui, est ailleurs.

« Nefrah » est dérivé du mot « Farah », qui veut dire « Réjouissance ». Mais qui veut dire aussi – et surtout : « Mariage ».

Voilà, le M-word est lâché. Mariage. Seule vraie source de bonheur. Sans laquelle la vie n’aurait aucun sens. Et l’existence, telle une irrémédiable dépression, ne serait qu’une lente descente vers l’Hadès de toutes les solitudes. Sans laquelle le monde sombrerait dans le désespoir, puis dans la barbarie. Et l’humanité, dans une orgie gigantesque où on ne saurait plus quel cul appartient à qui.

On se ne réjouira donc vraiment pour moi que lorsque je serai marié. Que lorsque j’aurai la bague au doigt, et le pénis en contrat longue durée.

Mais comme je me montre réfractaire à leur sollicitude. Et que, me cachant derrière mes sarcasmes, je demande en ricanant pourquoi un homme qui veut partager la vie d’une femme doit lui offrir un solitaire. Ils répondent par une question. La question qui tue. Celle qui clôt le débat. Et écarte de facto toute contestation : « Tu ne veux quand même pas finir vieux garçon ? »

Finir vieux garçon. Ou vieille fille. Cette effroyable et terrifiante menace qui plane au-dessus de la tête de tous ceux et toutes celles qui n’ont pas encore convolé. Qui n’ont pas encore posé pour la photo en blanc virginal et en costume pingouin. Qui n’ont pas encore dit « I do », avant de se slurper du bout des lèvres devant le parterre émoustillé des parents et amis. Qui n’ont pas encore promis de s’aimer pour la vie, et de tirer un coup au moins une fois par mois.

Finir vieux garçon. L’horreur absolue. L’échec d’une vie.

Cette épée de Damoclès dont la corde s’érode un peu plus à chaque anniversaire.

Et vu qu’arrive à grands pas le jour fatidique où je vais souffler mes 45 bougies, je suis épuisé d’avance à l’idée d’être noyé sous un déluge sirupeux de « Nefrah Mennak ».

Toutefois, cette année ça ne sera pas la salve de vœux habituels, souhaités avec force clins d’œil et tapes dans le dos, mais un ordre auquel il va falloir obéir.

Parce qu’à 45 ans, j’aurais déjà dû avoir deux ou trois marmots qui braillent, une femme qui grossit, une ou deux maîtresses qui me coûtent la peau des fesses et quelques étudiantes bien roulées qui viennent se dérouler dans ma garçonnière du bord de mer.

Parce qu’à 45 ans, j’aurais déjà dû avoir une Volvo Break ou une Renault Espace. Une belle situation avec gros chèque de fin de mois et ulcère en bonus. Sans compter les costumes, les cravates, les cigares et la calvitie naissante.

Mais à 45 ans, je n’ai rien de tout ça. Au grand malheur de ma mère qui regrette secrètement d’avoir un premier-né aussi fantasque, aux idées aussi farfelues et qui ne peut jamais rien faire comme tout le monde.

« Mon fils est fou », dit-elle affectueusement. Ne perdant cependant pas le fol espoir qu’un jour une belle saura dompter le fauve et capturer son cœur. À qui il dira oui, sous les hourras d’une foule en délire. Puis, lors du voyage de noces, s’en ira se faire engrosser sous les palmiers d’une île exotique.

À condition bien sûr que cette belle soit issue d’une bonne famille grecque-orthodoxe. Sinon on peut très bien continuer à appeler son rejeton « Nefrah Mennak ». On a attendu 45 ans, on peut bien patienter encore un peu.

On n’est pas aux pièces, tout de même !


Publié dans "Santé Beauté" - Juin 2012