Wanted


Khaled Mouzanar est un salaud.

Avant tout parce qu’il a épousé Nadine Labaki. Il ne sait pas, le goujat, qu’une fille comme Nadine Labaki ne s’épouse pas ? Qu’une fille comme Nadine Labaki doit rester célibataire ? Quoi qu’il arrive. Sinon à quoi peuvent bien fantasmer tous ces buveurs de whiskey qui forment le nerf viril de notre belle nation ? 

Ensuite parce qu’il a du talent.

Du talent… Quelle idée ridicule ! Il ne peut pas se contenter des prout-prout-zim-boum-zim-boum que nous ressassent et repassent les radios à longueur d’ondes FM ? Il ne peut pas voler des musiques, en plagier d’autres, puis les signer de son nom, comme font certains génies locaux ?

Non, il faut à tout prix qu’il se fasse remarquer en composant des musiques originales. Musiques qui n’ont même pas le mérite d’être médiocres.

C’est abject, pas vrai ?

Et regardez-moi cette tignasse. Il ne peut pas se couper les cheveux ? Non mais c’est quoi ça ? De derrière on dirait une femme. Et comme il ne se rase pas, de devant on dirait une femme à barbe. Quel bel exemple pour notre jeunesse !

Et voilà, qu’aux Murex D’or –cérémonie télévisuelle que nous envie le monde entier, et fait pâlir de jalousie les organisateurs des Grammy, des Billboard ou autres obscurs MTV Awards, voilà donc ce monsieur, cet énergumène, cet ignoble personnage, qui dit devant un parterre tout en paillettes et en silicones, et devant les citoyens téléphages de notre bienheureuse république, que les Libanais sont des cons.

Scandale !

Bon, il n’a pas utilisé le mot « con », mais c’est tout comme.

Et pourquoi il a dit ça ? Parce que les Libanais continuent, malgré tout ce qu’ils ont vécu depuis plus de 60 ans, à se diviser en tribus confessionnelles, à suivre en troupeau désordonné leur leader maximo, à toujours voter pour ceux qui les ont volés et spoliés, à s’insulter, à se déchirer et accessoirement à se faire la guerre en cassant tout sur leur passage. Quelle gageure !

Il est vraiment bête, ce Khaled Mouzanar.

Il ne sait pas qu’il ne faut jamais traiter les Libanais de cons. Pas en public. Pas à la télé. Pas en arabe.

Il vaut mieux les prendre pour des cons, aux Libanais. Ça oui, ça passe mieux.

S’il avait fait ça, s’il avait pris les Libanais pour des cons, s’il avait fait risette et dit d’un air pénétré et l’œil humide qu’il était ému, flatté, et qu’il ferait volontiers de tendres gougnougnous à son public chéri –tout en méprisant ce même public en lui offrant des déjections rythmées, personne n’aurait osé le critiquer. Toute la presse l’aurait encensé. Il aurait même pu être élu député, ou bien nommé ministre de la Culture, qui sait ? Et les présentateurs télé lui auraient donné du « ma3ali », la lippe adipeuse et le sourire obséquieux.

Il n’a vraiment rien compris…

Mais bon, le chemin de la rédemption existe, même pour des ostrogoths comme Khaled Mouzanar.

Il suffit qu’il quitte Nadine Labaki, épouse Myriam Klink, et passe le restant de ses jours à composer des odes à son minou.

Et quand on l’invitera à la télé, il aura l’obligeance de faire potiche.


© Claude El Khal, 2012