Tollé autour de l’interview de Bachar el-Assad sur France2


Je peux comprendre que des bourgeoises libanaises à court de plaintes métaphysiques se scandalisent de l’interview de Bachar el-Assad que France 2 va diffuser ce soir.  

Faut bien qu’elles aient quelque chose à dire, ces malheureuses. Peuvent pas toujours poster sur Facebook des photos de leur petite vie dorée par des couchers de soleil exotiques.

Peuvent pas non plus se limiter aux citations hautement littéraires qu’elles étalent à longueur de mur virtuel pour bien montrer qu’elles en ont de la matière grise sous les boursouflures de leurs joues botoxées. Faut varier un peu. Montrer qu’on a une opinion sur les choses du monde. Qu’on a l’humanité à fleur de clavier. Même si cette humanité ne s’exhibe qu’en dehors des jours fériés et des nombreuses vacances que ces précieuses s’offrent à longueur d’années.

Je peux comprendre que des politiciens locaux s’offusquent, eux dont le gagne-pain est de flatter les bons dictateurs et pourfendre les mauvais –les bons étant ceux qui signent les chèques ou remplissent de billets les discrètes valises qui va leur permettre de construire des résidences secondaires un peu partout au Liban, les mauvais étant les autres.

Je peux comprendre que des intellocrates parisiens dont la vie publique dépend du degré d’indignation quotidienne dont ils sont capables, dénoncent cette interview. Je peux comprendre que des hommes et des femmes politiques françaises crient au scandale parce qu’une chaine du service public, censée être quand même aux ordres du pouvoir, donne la parole à un ennemi déclaré de la France officielle. Je peux comprendre que des humanistes subventionnés se fendent d’un coup de gueule, de peur sans doute qu’un trop long silence ne remette en cause leurs subventions.

Je peux comprendre que des humanitaires s’indignent, eux qui ont vu de près l’horreur infligée par le régime syrien à une population civile qui n’en peux plus de saigner. Qui ont vu la souffrance, goûtés les larmes et senti l’odeur âcre du sang, trop souvent impuissants à soulager la douleur de dizaines, sinon de centaines de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants pris en otage dans une guerre sans merci.

Je peux surtout comprendre que des Syriens, qui ont souffert de la répression implacable des baassites et de leurs nervis, aient un goût amer en voyant leur tortionnaire en chef passer au journal de 20h.

Mais que des journalistes poussent des cris d’orfraies et accusent France 2 de trahir l’esprit Charlie (sic) et déclarer à la face d’un monde incrédule "Je Suis Bachar" (re-sic), là je ne comprends pas. Moi qui croyais naïvement que le métier de journaliste était d’informer. Visiblement, au Liban –mais aussi un peu en France, c’est pas du tout ça. Au Liban, l’information c’est de taper sur ses ennemis et ses adversaires, surtout ne pas leur donner la parole. En somme, ne pas informer.

Selon leur logique, on ne devrait donner la parole qu’à des gens bien, propres sur eux, gentils et sympas, sans aucune tache de sang sur la cravate. Selon leur logique, on ne devrait pas interviewer Bibi Netanyahu, ni aucun responsable israélien. On ne devrait pas interviewer non plus George Bush et ses copains néoconservateurs qui sont responsables de plus d’un million de mort en Irak. Ni des dirigeants arabes qui massacrent à tout vent ou emprisonnent à tour de bras. Ni des anciens Khmers Rouges, ni des anciens nazis, ni des terroristes heureusement embastillés comme Carlos, par exemple.

Bref, il faudrait diffuser en lieu et place du journal télévisé, quelques épisodes des Teletubbies, ou des Bisounours, au choix.

Le plus curieux c’est que ces mêmes journalistes n’hésitent pas à donner la parole à des gros pleins de sang du moment que ces derniers servent leur soupe idéologique à eux, suivant leurs opinions à eux, suivant une morale qu’ils ont cousu main pour nous pauvres ignorants qui ne savons pas faire seuls le distinguo entre le Bien et le Mal, le Beau et le Laid, les gentils et les méchants, les bien coiffés et les hirsutes, les bouchers et les épiciers.

En fait, cette démarche a un nom, elle s’appelle propagande. Elle infantilise et ment, souvent par omission. Un peu comme la Pravda du temps de l’empire soviétique. Ou comme la SANA (Syrian Arab News Agency), si chère à Bachar el-Assad. 


© Claude El Khal, 2015