Il y a 4 ans, Jean-Claude Boulos nous quittait


Il y a 4 ans, Jean-Claude Boulos nous quittait, comme dit la formule consacrée. Je préfère croire qu’il a fait une fugue pour aller retrouver ses écrivains préférés et voir un peu si la bonne chère était aussi de l’autre monde.

Ecrivain, poète, pionnier de la publicité et de la télévision, ancien patron de Télé-Liban, officier de l’ordre des Arts et des Lettres, Jean-Claude Boulos – Jicébé pour les intimes – fait désormais partie du patrimoine libanais. Et en ce jour de triste anniversaire, j’aimerai pour lui rendre hommage partager à nouveau avec vous ce texte que j’ai écrit quand j’ai appris la nouvelle de son départ.

La marche des mots

Les mots se sont mis en grève. Pas contents du tout, ils ont décidés d’organiser une grande manifestation.

Le jour de la grande marche, ils étaient tous là. Les polis, les grossiers, les élégants, les longs, les courts, et même les à-dormir-debout. Tous avaient répondu présent, les sujets, les verbes, les compléments, les adjectifs et les épithètes. Certains avaient apportés leur trait d’union, d’autres trimballaient leur trémats, et beaucoup portaient un accent circonflexe réprobateur.

Même les points et les virgules s’étaient déplacés.

Dans cette foule énorme, on pouvait croiser «Passion» discutant avec «Amour», «Rire» se disputer avec «Tristesse», «Folie» enlaçant «Raison», «Bonheur» tenant la main de «Ripaille». Et si on regardait bien, on pouvait apercevoir «Rocher» courant après «Sisyphe».

L’humeur générale était à l’accent grave.

Par ci par là, on pouvait déchiffrer quelques slogans, rapidement dessinés sur des banderoles de fortune. On pouvait y lire en vrac des «Jean-Claude, on t’aime !», des «Non mais, c’est quoi cette histoire ?» plus frondeurs, et même un «Et puis quoi encore ?» carrément furieux, alors que «Joie» et «Vivre» portaient un timide «Ne me quitte pas».

La foule était dense et nombreuse. Une très importante délégation des mots arabes avait rejoint le flot des marcheurs. Ainsi que le fine fleur de la langue anglaise. On raconte même que des représentant de toutes les autres langues s’étaient discrètement glissés parmi les manifestants.

Tous étaient là pour une seule raison : protester contre la disparition d’un homme qui a vécu par eux, et pour eux. Et qui les a élevé au rang de savoir-vivre. Mais aussi pour saluer celui qui les a servi avec tant de truculence et tant d'appétit.

Donc si aujourd’hui, tous celles et ceux qui veulent écrire, ou dire quelque chose, ne trouvent pas les mots, c’est parce que les mots sont occupés à dire au revoir à celui qui les a tant aimé.

Salut Jean-Claude.


© Claude El Khal, 2016