Mais où est passé Saad Hariri ?


Donc Nabih Berri, chef du Parlement, a offert le ministère des Travaux publics à Sleiman Frangieh, candidat malheureux à l’élection présidentielle.

Tout fier il était Frangieh en l’annonçant devant les caméras de télévision. Pour lui, qui a vu la présidence lui passer sous le nez alors qu’il croyait que l’affaire était dans le sac, cette annonce avait l’effet d’une revanche. Certes dérisoire, mais égale au véritable poids politique du seigneur de Zghorta.

Et moi qui pensais que c’était le Premier ministre qui distribuait les portefeuilles ministériels et non le président du Parlement. Pris de doute, j’ai couru voir ce que disait la Constitution. Et devinez quoi, c’est bien ce que je pensais : c’est la prérogative exclusive du Premier ministre – en concertation avec le président de la République. Ce qui s’est passé hier est donc contraire à la Constitution et un camouflet cinglant à Saad Hariri.

Le petit cirque de Frangieh avait pour but de mettre à mal le président de la République mais n’a fait qu’affaiblir le Premier ministre, et ce faisant donné un bon coup de pied à la Constitution.

Le plus tragique dans cette histoire c’est que, depuis sa nomination, Saad Hariri est aussi présent que l’électricité dans les foyers et l’eau dans les robinets.

Alors qu’il avait acquis une dimension d’homme d’État quand il a annoncé son soutien au général Michel Aoun et par la même occasion favorisé son élection à la présidence de la République, il a depuis perdu beaucoup de sa stature. Non pas à cause des atermoiement de Frangieh et des ruses de Berri, mais parce qu’il semble effacé, laissant la place aux autres, oubliant peut-être qu’il est Premier ministre du Liban.

On dirait qu’il compte les points et que son rôle n’est pas plus important que celui d’un greffier, qui inscrira sur une feuille les noms des futurs ministres après que tous aient enfin fini de marchander. Ce qui n’est évidemment pas dans l’intérêt du Liban, de la République et de ses institutions.

S’il veut éviter un naufrage aux prochaines élections législatives, Hariri se doit de revenir au devant de la scène et s’imposer comme chef incontestable du gouvernement à venir. Il se doit de marteler qu’il est le seul à même de distribuer les portefeuilles – après avoir consulté les différents blocs parlementaires et s'être concerté avec le président de la République – et de refuser les petits bazars annexes.

Un leadership véritable ne s’hérite pas, ne se décide pas dans les salons ou les cuisines politiciennes, ne s’invente pas dans les couloirs feutrés des chancelleries étrangères. Il se forge et s’impose par la force de caractère et la démonstration que la barre est bien tenue pour mener le pays à bon port.


© Claude El Khal, 2016