Pour la France hollandiste, Erdogan est moins dangereux que Fernandel


Il est de plus en plus difficile de savoir quels principes régissent la France. On invoque la liberté d’expression pour permettre à l’apprenti dictateur turc, Recep Tayyip Erdogan, d’organiser un meeting de propagande mais on interdit une publicité humoristique pour un diocèse catholique français.

Qu’Erdogan ait été l'argentier officieux de Daech quand l’organisation terroriste revendiquait les attentats du 13 novembre à Paris, que le président turc ait ordonné l’arrestation de dizaines de milliers d’opposants, qu’il massacre allègrement les Kurdes dès qu’il en a l’occasion, que son armée ait envahi ses deux voisins, l’Irak et la Syrie, et qu’il traite l’Allemagne et les Pays-Bas de nazis, ne sont visiblement pas des raisons suffisantes pour que la France hollandiste fasse comme nombre de ses partenaires européens et refuse que le régime turc organise un meeting de propagande sur son sol.

Ainsi, le candidat socialiste à l’élection présidentielle, Benoit Hamom, a invoquée la liberté d’expression, et le ministre des Affaires étrangères, Jean-Marc Ayrault, qui avait déjà appelé à "l’apaisement" alors que la polémique commençait à s'envenimer entre Erdogan et plusieurs pays européens, a déclaré : "en l’absence de menace avérée à l’ordre public, il n’y avait pas de raison d’interdire cette réunion".

À propos de "l'apaisement", Elisabeth Lévy a très justement écrit dans Causeur : "Après le communiqué de Jean-Marc Ayrault appelant à l’apaisement dans la crise opposant la Turquie à deux pays de l’Union européenne, les termes qui viennent à l’esprit sont : indignité, déshonneur, honte. Quant à la comparaison historique, elle s’impose d’elle-même : en 1938, Chamberlain et Daladier nous invitaient à l’appeasement face à Hitler, en 2017, Ayrault prône l’apaisement face à Erdogan."

Et d'ajouter, faisant allusion à l'ancien métier du chef de la diplomatie française : "On aimerait penser que c’est par hasard ­ – et par une ignorance historique crasse – que le chef de notre diplomatie a précisément choisi, parmi tous les mots qu’il aurait pu employer, celui qui rappelle comment, à Munich, l’Europe s’est couchée devant le Führer. Mais on ne voit pas comment un professeur d’allemand pourrait ignorer ce triste épisode devenu un nom commun."

Quant à l’absence de "menace avérée à l’ordre public", si Jean-Marc Ayrault peut avoir oublié son passé académique, il est difficile de croire qu'en sa qualité de ministre des Affaires étrangères, il ne soit pas au courant de ce qui se passe dans la Belgique voisine.

"Cette lutte est la lutte entre le croissant et la croix. Réunissons-nous sous le croissant. Vous verrez que nous serons très nombreux!, voici le contenu de l’affiche publiée sur le compte Facebook de l’AKP Belgique ce vendredi [10 mars] après-midi", rapporte le journal belge La Capitale. L'AKP étant, bien entendu, le parti du président turc.

Mis peut-être que pour monsieur Ayrault, appeler à se réunir sous le croissant dans la "la lutte entre le croissant et la croix", en d'autres termes - comme le montre le dessin qui orne l'affiche - appeler au conflit physique entre musulmans et chrétiens, ne représente pas une menace avérée à l'ordre public.

L'affiche publiée sur Facebook (puis retirée) par l'AKP Belgique 

Paradoxalement, la tolérance dont joui en France le parti islamiste d'Erdogan ne s’applique pas au diocèse catholique de la charmante commune de Gap, chef-lieu du département des Hautes-Alpes.

Une campagne publicitaire humoristique pour le denier du culte du diocèse de la commune s'est vue frappé d'interdiction d'affichage public. "L'affiche, écrit Le Parisienreprésente Don Camillo [immortalisé au cinéma par Fernandel], sur fond de drapeau tricolore et d'étoiles européennes, qui demande : Seigneur, combien de voix allez-vous obtenir cette année pour le Denier?, tandis que le slogan affirme: Votez Jésus-Christ, le seul qui n'a jamais changé de programme."

L'évêque de Gap a présenté cette campagne "à l'ensemble des prêtres et laïques du diocèse", tout en leur annonçant que l'Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP) "n'autorisait pas l'affichage public car cela pouvait tourner en dérision les hommes politiques".

La publicité du diocèse de Gap interdite d'affichage public

La soutane de Fernandel et l’appel amusant à voter Jésus représentent-ils un plus grand danger pour l’ordre public qu’un meeting de propagande organisé par un régime totalitaire et belliqueux? Appeler à la "lutte entre le croissant et la croix" est-il moins dangereux que "tourner en dérision les hommes politiques"? Il faut le croire, vu que l’AKP d’Erdogan a eu l’autorisation de tenir un meeting public et que la publicité du diocèse de Gap a été interdite d’affichage public.

J’aurai aimé ironiser sur le fait qu’un grand meeting islamiste ait eu lieu à Metz (prononcez Messe), faire tout un tas de mauvais jeux de mots et y voir, en ricanant, toutes sortes de symboles improbables, mais depuis quelques temps je n’ai plus le cœur à rire. La dérive sans fin de la France hollandiste me donne une irrésistible envie de pleurer. Et surtout, surtout, de voter.


© Claude El Khal, 2017