La vérité, victime d'une balle perdue?


La plupart des personnes arrêtées pour avoir tiré en l’air le soir des résultats du brevet ont été relâchées. Le ministre de l'Intérieur a parlé de pressions politiques alors que celui de la Justice a formellement démenti. Et la vérité dans tout ça, victime elle aussi d'une balle perdue?

Tirer en l’air est une tradition libanaise malsaine, imbécile et criminelle. A chaque occasion, joyeuse ou malheureuse, des Libanais se mettent à tirer n’importe comment, blessant et tuant des innocents. 

Les vidéos ci-dessous montrent l’étendue du problème. On y voit des excités de la gâchette s’en donner à cœur joie devant une église pendant la messe de Pâques, lors des funérailles d’un leader politique et même pendant un mariage, où la mariée se prend pour Rambo.


  


La prolifération des armes illégales et leur utilisation anarchique est un véritable fléau national. Durant le mois de juin, dix-huit vies ont été fauchées, volontairement ou accidentellement. Regardez leurs visages, imaginez leur histoire, leurs rêves et leurs espoirs dérobés. 

Source : L'Orient-Le Jour

Evidemment, malgré cette hécatombe, aucune disposition sérieuse n’a été prise pour en finir avec ce fléau. Les services de sécurité ont beau arrêter les coupables, des tireurs fous continuent de collectionner les victimes. 

Le 29 juin au soir, dès que les résultats du brevet ont été connus, des tirs de joie ont fusé de toutes parts. Un homme, Hussein Jamaleddine, a été tué par une balle perdue. Les tireurs ont immédiatement été interpellés et leurs noms publiés. Malheureusement, cette mesure qui se voulait autant punitive que préventive s'est révélée dérisoire.

En effet, quelques jours plus tard, le ministre de l’Intérieur, Nohad Machnouk, a déclaré lors d'une interview télévisée que 70 des 90 personnes arrêtées ont été relâchées suite à des pressions politiques.

Le lendemain matin, le chef du parti Kataeb, Samy Gemayel, l'a interpellé sur Twitter : "Est-ce que cette information est vraie, monsieur le ministre?" "Oui, elle est vraie, a répondu ce dernier, à cause d’ingérences de politiciens auprès de la justice". 


Peu après, Gemayel a publié une vidéo sur ses comptes Facebook et Twitter demandant que les noms des politiciens qui sont intervenus pour faire libérer les tireurs soient rendus publics.

Aussitôt, le ministre de la Justice, Salim Jreissati, a rétorqué en publiant un communiqué démentant les affirmations de son collègue : "Les propos du ministre de l'Intérieur sur la libération des individus ayant tiré en l'air (...) pour des raisons ayant trait à des pressions politiques, sont faux". Avant de préciser : "Les individus libérés l'ont été faute de preuves".

Qui des deux ministres a dit la vérité? Quelle que soit la réponse, ce n’est un secret pour personne qu’un grand nombre de voyous à la gâchette facile jouissent de protections politiques et agissent comme s’ils étaient intouchables.

Si des politiciens sont effectivement intervenus pour faire libérer les tireurs fous, les Libanais doivent réclamer que leurs noms soient publiés. Ils ont le droit savoir, ils en ont même le devoir. Mais qu'en est-il du droit aujourd'hui, et qu'en est-il du devoir? Sont-ils, comme la vérité, victimes d'une balle perdue?


© Claude El Khal, 2017