Lettre à ma fille, letter to my daughter


Beaucoup d’entre vous connaissent cette lettre que j’ai écrite, il y a quelques années déjà, à la fille que j’aurai peut-être un jour. On m’en a souvent parlé depuis, et aujourd’hui encore, certains la découvrent et m’envoient des messages très émouvants, me disant qu’ils l’ont lu à leur fille, un peu comme une lettre qu’ils auraient aimé lui écrire eux-mêmes. J’ai donc décidé de la publier à nouveau, dans ses deux versions, française et anglaise. Avant qu’un jour, qui sait, elle arrive enfin à sa destinataire.

Many of you already know this letter I wrote, a few years ago, to the daughter I may have some day. People often talk to me about it, or send me very moving messages, telling how they read it to their own daughter as the letter they wished they wrote. So I decided to publish it again, in its French and English versions. Hoping that maybe, one day, who knows, it will finally reach its destination.


Lettre à ma fille

Mon chaton,

Tu n’aimerais sans doute pas que je t’appelle comme ça, mais comme tu n’as pas encore été conçue, je me permets cette liberté.

Mon chaton,

Je t’imagine déjà, avec ton joli minois têtu, tes grands yeux à damner un jésuite, ton petit sourire mutin à démomifier un stalinien.

Je t’entends déjà, ronronner dans le creux de mon épaule, pour extirper ce “d’accord” que tu sais acquis d’avance. Même s’il est accompagné d’un sévère et ô combien inutile “mais c’est la dernière fois!”

Je ne te ferai pas l’offense de te dire “méfie-toi des garçons”, parce que je sais très bien que ça sera aux garçons de se méfier.

Tu sais, c’est très con un garçon. Ça prend des airs de James Bond, mais ça pleure en cachette en écrivant des poèmes. Et des poèmes, ils vont t’en écrire, les garçons. Puis ils iront se noyer avec des moins jolies que toi, qu’ils jetteront sitôt consommées, comme par vengeance imbécile.

Mon chaton,

J’aimerais avant tout te demander pardon pour le monde que tu vas trouver en arrivant.

Un monde de hurleurs et de bêlants. Qui cherchent à guérir leurs peurs en accumulant des billets verts et en faisant la chasse à tous ceux qui sont un peu différents. Un monde de sales gosses qui cassent tout sur leur passage et pensent que la Terre est une glace au chocolat qu’ils peuvent sucer jusqu’au bâton.

Un monde où quelques princes se réservent l’exclusivité du bonheur, laissant au reste de l’humanité la joie de s’étriper pour un match de foot ou un baril de pétrole. Où l’ambition des mères est de trouver un nid douillet pour leurs filles, qui pourront à leur tour devenir mère, avant même que d’être femme. Où l’ambition des pères se résume souvent à vouloir trousser cette fausse blonde aux gros seins qui leur fait de l’œil en leur vendant des cigares.

Un monde, où par peur des femmes, les hommes ont pris le pouvoir et font tout pour le garder, comme de piètres dictateurs arabes. “On a tous quelque chose en nous de Kadhafi” pourraient-ils chanter en chœur.

Mon chaton,

Je vais avoir l’immense privilège de te regarder devenir une femme. Regarder te transformer de petite fille espiègle en adolescente chieuse et ingrate. Puis, de jeune fille découvrant les caresses en femme magnifique et divine.

Oui, divine.

N’en déplaise à ceux qui croient encore que Dieu est un barbu misogyne. Ceux qui confondent mariage et esclavage. Et qui ont oublié que sans droits de la femme, il n’y a pas de droits de l’homme.

Mais promets-moi que tu ne feras pas comme toutes celles qui, en singeant les hommes, croient se libérer. Tu ne ferais que changer de servitude.

Parce qu’enfin, où est la liberté dans un destin qui se résume à courir toute sa vie pour payer des factures? Où est la liberté d’un homme qui a préféré abandonner en chemin tous ses rêves d’enfant pour devenir mâle procréateur? Comme si les rêves devaient être inversement proportionnels au nombre de marmailles engendrées.

Mon chaton,

Promets moi de ne jamais oublier ton droit inaliénable au bonheur. Je ne parle pas du bonheur-wonderbra. Ni du bonheur-fairyliquid. Ni celui des publicités, des salons ou des cuisines.

Le bonheur, le vrai, se résume à un seul mot : Être. Tout simplement.

Vivre ses rêves, même les plus fous, même les plus incroyables. Surtout les plus fous, surtout les plus incroyables. Toujours oser. Aimer. Inventer.

Je dois te prévenir que ça ne va pas être facile. Parce que toutes celles et tous ceux qui ont manqué leur train, vont s’échiner à te faire manquer le tien. Ils vont te parler de confort et d’épanouissement. Mais savent-ils que ce sont les plantes qui s’épanouissent, alors que les femmes, elles, s’accomplissent?

Mais ne n’inquiète pas. Je serai toujours là, avec toi, sabre au poing. On leur dira merde. On rira de leur médiocrité. Et on pleurera ensemble quand ton cœur aura rencontré quelque récif.

Ensemble, on ira à la conquête du monde. Un monde selon toi. Le seul monde qui vaille vraiment la peine.


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Letter to my daughter

My little mongrel,

You don’t exist yet. My best swimmers haven’t met your mother’s egg, but I can picture you already. I can picture your stubborn face, your mischievous eyes and your naughty smile.

My little mongrel,

I want to apologize for the world you're going to find when you get here. A world of screamers and bleaters. A world of spoiled brats who break everything they touch, and believe the Earth is a buffalo chicken wing they can suck to the bone. A world where only a few have real access to a decent living, while the rest is left fighting and dying over crumbs and leftovers.

A world where a mother’s only ambition is to find a nest for her daughter. So she can, in turn, become a mother. Where a father’s sole aspiration is to get under the skirt of the raunchy neighbor with big boobs. A world where most men are so afraid of women, they’d do anything to keep their illusive power: persecute, abuse, imprison, enslave or even kill.

My little mongrel,

I will have the privilege watching you grow. Watching the playful baby turn into an ungrateful teen, then into a beautiful and divine woman. Yes, divine. And the hell with those who believe that God is some bearded chauvinistic deity. Those who forget that without women's rights there can be no human rights.

Promise me to never forget your absolute right to happiness. I don’t mean the make-believe happiness that fills our TV screens. Where people come begging for a little attention, for a brief moment under the sun, for a lousy applause and a cheap cheer. Happiness comes down to one simple word: be. Be anything you want. Be unique, be proud, be free. Live your dreams. All of them. Always dare, love, create.

However, I must warn you, it will not be easy. Because all those that missed their train will go out of their way to help you miss yours. They’ll tell you about comfort, about security, they’ll tell you about husbands and children, about taxes and mortgages. Inviting you into the cozy prison of their uneventful life. But don’t worry. I will always be there, by your side, sword in hand. Together, we’ll tell them to fuck off. We’ll laugh at their mediocrity. We’ll cry when your heart gets roughed up, and get drunk to celebrate your first kiss.

Together we will change the world. We will create a world according to you. The only world worth living in.


© Claude El Khal, 2017