Salon du Livre ou Désert des Tartares ?


La publicité du Salon du Livre Francophone de Beyrouth résume tout : un livre s’ouvre et se transforme en chaise.

Au delà de la pauvreté flagrante de l’idée, le message est en lui-même révélateur : la littérature, on s’assoit dessus.

D’ailleurs, les Libanais dans leur très grande majorité se sont assis dessus, boudé le salon et ignoré les livres. Les allées entre les nombreux stands restent désespérément vides, et les quelques présents sont les éditeurs, les auteurs, et les amis ou parents des éditeurs et des auteurs.

Honnêtement, on ne peut pas en vouloir au peuple libanais. Les livres, c’est cher. Et une grande partie a juste de quoi nourrir sa famille, envoyer ses enfants à l’école, et éventuellement se soigner.

Mais au delà de la crise sociale aiguë, le Liban vit une crise culturelle sans précédent.

La chose culturelle est confiée à des gens sans culture, dont l’arrogance n’a d’égal que l’incompétence. Et qui n’existent que par la volonté du dieu Népote et par la grâce de la fée Copinage.

Les écrivaillons à la petite semaine noient les véritables écrivains. Les rares, trop rares, émissions littéraires de la télévision sont d’une encore plus rare médiocrité. Quant à la presse, son français devient de plus en plus l’écho, sinon le porte-parole, de celui –très approximatif, des salons bourgeois de Beyrouth.

Et tout ça avec la bénédiction d’une Mission Culturelle Française qui a sans doute confondu les mots « mission » et « compromission » et qui est le premier, sinon le principal, fossoyeur de la francophonie au Liban.

Des maisons d’éditions qui rament... Des auteurs de talent qu’on ignore s’ils n’ont pas la chance de boire à la fontaine des pistons… La France au Liban a aujourd’hui une bien sale gueule.

Mais la France n’est pas la seule coupable. La soi-disant intelligentsia libanaise ne l’est pas moins. Cette élite autoproclamée, plus occupée à se flagorner et à se faire mousser par les mafieux qui nous gouvernent qu’à promouvoir la langue française.

Mais il n’est jamais trop tard.

Le Salon du Livre 20011 a peut-être fermé ses portes, celles des librairies vous sont grandes ouvertes. Alors bougez votre cul, grimpez dans vos bagnoles, et allez y faire un saut !

Bien sûr, je ne peux demander ça aux Libanais qui ont du mal à joindre les deux bouts. Je m’adresse donc à ceux et celles qui ont la chance d’avoir un compte en banque ventru, ou du moins en bonne santé.

Au lieu d’aller claquer votre fric sur une autre retouche à vos botox, de dépenser une fortune dans une boite à la mode pour impressionner une quelconque pétasse, d’offrir une voiture de sport à vos gamins prépubères, d’aligner de la coke pour avoir l’illusion que vous êtes encore jeunes et dans le coup, d’ajouter une énième paire de talons à votre dressing room, de perdre un mois de salaire au poker pour prouver que vous êtes un homme-un-vrai, allez acheter des livres.

Et si lire vous fatigue, si vos neurones sont atrophiées par de trop longues années de bêtise, obéissez à la publicité et asseyez-vous sur les livres. Brulez-les dans la cheminée de vos chalets enneigés, utilisez-les comme dessous de plats pour vos mets chics et exotiques… L’argent que vous aurez dépensé servira à écrire et à publier d’autres livres.

Pour que, malgré tout, il y ait l’année prochaine un Salon du Livre. Et que parmi la crasse médiocre, on puisse encore dénicher cette petite perle, ce trésor, qui va nous éblouir, nous transporter, nous élever.

Et peut-être nous donner envie d’écrire.


© Claude El Khal, 2011