Le Liban c’est quoi?


Le Liban c’est quoi? Un pays, une nation, une République? 10452 kilomètres carrés? Dix-huit confessions, quinze fleuves, trois grands lacs, deux chaînes de montagnes et moult forêts? Un bout de terre coincé entre deux morfales qui ambitionnent d’en faire leur quatre-heures?

C’est quoi? Une histoire tragique? Des morts, des disparus et des survivants? Des souvenirs, heureux et malheureux? Un mensonge, une vérité? Le rêve de quelques-uns, le cauchemar de tous?

Des guerres et des crises? Des ordures partout, de l’eau et de l’électricité nulle part? Des problèmes sans solutions et des solutions porteuses de problèmes à venir? Des boîtes et des restaurants qui ne désemplissent pas? La fête, la bouffe, l’arak et le foie cru au petit-déjeuner? Le hommos, le taboulé et le fromage élastique des knéfés matinales? Du miel, de l’encens, des mosquées et des églises? Des «spadrines», des Louboutin, des calottes et des turbans?

C’est quoi, c’est qui? Un président maronite, un Premier ministre sunnite, un chef du Parlement chiite et une flopée de ministres, de députés, de suiveurs et de clients? Quatre millions et demi d’égoïstes, superficiels et arrogants? Plus d’un million d’hommes, de femmes et d’enfants qui n’ont pas de quoi manger à leur faim, pas de quoi se soigner, encore moins de vieillir puis de mourir dans la dignité? Deux millions de réfugiés qui n’attendent plus de rentrer chez eux?

C’est qui? Des saints et des salauds? Des fausses mamelles, des fausses lèvres et des faux culs? Des politiciens véreux et des mères maquerelles? Des paons qui se pavanent et des bécasses qui jacassent?

Le Liban c’est quoi? Des voitures rutilantes et des bagnoles pourries? Des routes cabossées, une mer polluée, des montagnes violées au nom du profit à tout prix? Le seul endroit au monde où on peut skier et nager le même jour? Des richesses obscènes et une misère absolue?

Le Liban, c’est peut-être tout ça, mais c’est aussi tellement plus.

C’est la brise légère du littoral et le vent glacial de la Békaa. C’est l’odeur des pins après la pluie et celle des viandes grillées, le dimanche en famille.

C’est une générosité sans limites, presque de l’abnégation. Surtout chez les plus pauvres qui n’ont rien à offrir, ou si peu, mais qui l’offrent de toute leur âme. C’est un surprenant amour de la vie, trop souvent mêlé d’excès suicidaires. C’est une expérience sociétale extraordinaire, passionnante, un monde en miniature, où cohabitent toutes les contradictions et tous les paradoxes.

C’est une source inépuisable d’inspiration. Une muse sensuelle aux formes affolantes. C’est aussi une cause. La plus belle qu’il m’ait été donné de défendre.

Le Liban, c’est surtout un avenir. Qu’il nous faut construire, ensemble, lentement, patiemment, comme on élève un enfant. Mais faut-il que nous sachions encore élever des enfants.


© Claude El Khal, 2016

Publié dans Magazine - Le Mensuel, novembre 2016