À propos de la visite controversée de Marine Le Pen au Liban


Marine le Pen vient au Liban et devrait être reçue, entre autres, par le président de la République et le premier ministre. Les protestataires professionnels s’en émeuvent à grand renfort de pétitions et de tweets scandalisés. Alors qu’il n’y a vraiment pas de quoi.

D’un point de vue strictement protocolaire, Le Pen est candidate à l’élection présidentielle française, donc possible future présidente, il est normal qu’elle soit reçue comme Macron l’a été avant elle. Le Liban officiel n’a pas à se mêler des affaires intérieures françaises et des divisions idéologiques hexagonales. Son devoir est de garder les meilleures relations avec la France, quels que soient les dirigeants que les Français se choisiront dans quelques mois.

Les relations officielles entre le Liban et la France sont des relations d’Etat souverain à Etat souverain. Mais je comprends que certains Libanais aient perdu la notion de souveraineté. Comment les blâmer quand on voit la ribambelle de pays qui s’immiscent dans nos affaires depuis l’Indépendance ? Hier encore, la ministre de l’Intérieur britannique nous disait ce que nous devions faire, sans que personne ne la rappelle à l’ordre…

La souveraineté du Liban, aussi imparfaite soit-elle, est le fruit d’un long combat et d’innombrables sacrifices. Souvenez-vous, il n’y a pas si longtemps, la soldatesque et les mukhabarat syriens faisaient la pluie et le beau temps à Beyrouth et ailleurs. Alors que les habitants du Sud ont encore en mémoire la sinistre prison de Khiam, fleuron de l’occupation israélienne. Sans parler de l’arsenal militaire du Hezbollah, qui pour de nombreux Libanais est une tête de pont iranienne au pays du Cèdre.

Réclamer que notre souveraineté soit respectée sans nous-mêmes respecter celle des autres serait pour le moins hypocrite. Et contre-productif.

Par contre, rien de plus naturel que certains Franco-Libanais (ou Libano-Français, c’est selon) s’opposent à la visite du leader du Front National. C’est leur droit démocratique le plus absolu. Encore faut-il qu’ils s’y opposent intelligemment et ne se laissent pas aller aux slogans faciles et réducteurs.

Si Marine Le Pen était véritablement à la tête d'un parti fasciste, comme ils ne cessent de répéter, ce n’est pas sa visite au Liban qui serait inacceptable mais bien le fait qu’elle puisse se présenter à l’élection présidentielle d'un pays comme la France, et par conséquent avoir la possibilité d'accéder à la magistrature suprême.

Permettez-moi d’ironiser en passant sur l’antifascisme à deux vitesses de certains activistes libanais qui n’ont lancé aucune pétition après l’attaque des locaux d’Al-Jadeed à coups de pierres et de cocktails Molotov – acte on ne peut plus fasciste – mais qui les multiplient contre la visite – somme toute sans grande importance – de Marine Le Pen.

C’est vrai que s’attaquer à une femme politique française est de loin moins risqué et moins dangereux que de s’attirer les foudres de voyous liberticides armés jusqu’aux dents.

Quoi qu’il en soit, les Franco-Libanais opposés à la visite de Marine Le Pen ne sont qu’une poignée. En réalité, une bonne partie des binationaux sont de fervents partisans de la famille Le Pen et se félicitent de voir Marine si haut dans les sondages. Ne l’ont-ils pas accueillie avec tous les honneurs à l’ambassade du Liban à Paris, en Novembre dernier, à l’occasion du 73ème anniversaire de l’Indépendance ?


Les Libanais en général, et les Franco-Libanais en particulier, sont majoritairement de droite. Beaucoup sont d’extrême-droite. C’est vous dire à quel point, avec mes idées très à gauche, les moments de solitude sont nombreux !

Je ne rentrerai pas ici dans les détails de mon opposition au Front National, j’aurai l’occasion de le faire dans quelques semaines, à l’approche du premier tour. Mais j’aimerais profiter de cette tribune pour m’adresser, en tant que binational, à Marine Le Pen.

Madame Le Pen, j’ai la double nationalité, je suis Libanais et je suis Français. Je ne suis pas un peu plus l’un et un peu moins l’autre. Je suis les deux, à égalité. Et je compte le rester. Il est hors de question que j'abandonne la nationalité du pays qui m’a vu naître et pour lequel je me suis tant battu. Et je ne me laisserai pas dérober ma nationalité – et ma citoyenneté – française. 

Me demander d’abandonner l’une au profit de l’autre équivaut à me forcer de choisir entre mon poumon gauche et mon poumon droit, entre la partie gauche et la partie droite de mon cerveau. Me retirer l’une ou l’autre serait m’amputer d’une part importante, essentielle, de mon identité.

Ne vous méprenez pas, madame, tous les binationaux Franco-Libanais (ou Libano-Français) sont comme moi. Même ceux qui partagent nombre de vos idées et se disent prêts à voter pour vous. À l’heure du choix entre vous et leur double nationalité, je doute fort qu’ils glissent votre nom dans l’urne.

Mais je ne suis pas dupe. Nous savons vous et moi que si vous êtes élue, vous n’appliquerez pas cette partie de votre programme. Rien qu’avec les Franco-Israéliens, le tollé qui vous attend risque de sérieusement plomber votre mandat, qui n’aura pas besoin de ça pour être aussi contesté que celui de Donald Trump aux États-Unis.

Alors, rendez-nous et rendez-vous service : foutez la paix aux binationaux.

En attendant, en tant qu'homme de gauche, en tant que citoyen français et démocrate farouche, et en tant que Libanais soucieux des traditions d’hospitalité, je vous souhaite la bienvenue au Liban.


© Claude El Khal, 2017