Tu seras libanais mon fils


Si Rudyard Kipling avait été libanais, à quoi aurait ressemblé "Si", son poème le plus célèbre? J’ai tenté de répondre à cette question, en espérant que ce cher Kipling me pardonnera.

Si

Si tu peux voir détruire lentement ton pays
Et ne rien faire d’autre à part te plaindre et gémir
Ou regarder s’envoler tes économies
Sans protester et sans mot dire

Si pour être viril il te faut un phallus
Si pour être un mâle il faut une arme à ton bras
Et, te sentant haï, haïr encore plus
Tous ceux qui ne pensent pas comme toi

Si tu peux supporter d’entendre les paroles
Toujours changeantes de ton za3im adoré
Et l’entendre mentir avec une audace folle
Et mentir à ton tour pour le justifier

Si tu ne peux rester digne en étant populaire
Si tu méprises les pauvres et courtises les rois
Si tu ne peux aimer sans attendre un salaire
Sans ramper devant plus riche que toi

Si tu sais médire, jalouser, tout te permettre
Sans jamais un instant douter de ton bon droit
Toujours courir à la recherche d’un nouveau maître
Que fidèlement tu serviras

Si tu ne sais être beau qu’en soignant ton bronzage
Si tu ne sais être fort que face aux plus frêles
Si tu ne sais parler avec les humbles et les sages
Sans être pédant et superficiel

Si tu peux rencontrer triomphe après défaite
Et confondre l’un et l’autre avec aisance
Si tu peux très facilement perdre la tête
Puis t’en flatter avec orgueil et suffisance

Alors, vivant parmi les ordures et les poubelles
Tout en clamant que chez toi c’est la Suisse
En louant les bienfaits de l’encens et du miel,
Tu seras libanais mon fils


© Claude El Khal, 2017