FLEMME (extrait)
Ernest tournait en rond dans le petit espace gris qui lui servait d’appartement. Les murs suintaient de tant de vies usées... Ernest aurait pu repeindre. Ça aurait été encore plus laid, disait-il. C’est comme farder une vieille, les rides poudrées y a rien de plus grotesque, un masque de papier mâché qui s’est pris une pluie dans la gueule.
Ernest ne sortait jamais. Ou presque. Parfois il était obligé, pour du pain, du lait ou des cigarettes. Le reste du temps, il regardait la télé, écrivait des articles pour des magazines de poils et de chairs, histoire de gagner son beurre, et observait par la fenêtre la médiocrité joyeuse du monde.
Adolescent, Ernest rêvait d’une vie un peu comme dans les séries américaines. Petit à petit, il s’était payé la plupart de ses fantasmes pubères. Il croyait qu’il allait être heureux : petite place au soleil libéral, bronzer, baiser, bosser, ambition, carrière, visa gold et american express. Mais l’adolescent comblé n’arrivait pas à être heureux. Quelque chose manquait. Quelque chose ou quelqu’un. Lui. Il s’aperçut qu’il n’existait pas. Seuls existaient les bureaux en formica noir, les chèques de fin de mois, les pétasses blondes et brunes, les amis du samedi soir, les autres... Les autres, ces fantômes. Mais lui n’existait pas. Alors il est parti. Pour se trouver, disait-il. En vain. Puis il est revenu. Il est revenu et a décidé de s’isoler. Du monde vampire. Des sociétés et des systèmes. Des pendules et des kilomètres. De s’isoler et d’être. Enfin.
A l’intérieur des murs crasseux, Ernest était né. Fils de lui-même, maître de son espace-temps, libre. Enfermé mais libre. Mais Liberté est l’amante de Solitude. Elles se regardent, se frôlent, s’entrelacent, se confondent, puis, doucement, lentement, se séparent, un peu, trop peu, avant une nouvelle étreinte. Ernest a toujours aimé les ménages à trois. Aimer l’une tout en se faisant sucer par l’autre semblait être un régime sain. Le tout était de ne pas trop se faire sucer, garder un certain équilibre. Mais Solitude a la fellation vorace et Liberté est tellement amoureuse... Fallait s’y faire, il s’y est fait. Et de cette union triangulaire est née Flemme. Une enfant rebelle, jolie comme une chatte de gouttière, bandante comme une utopie. Ernest pouvait enfin être heureux.
Mais aujourd’hui, dans le petit appartement gris, Ernest tournait en rond. Il attendait Layâl, une ancienne blessure brune qui avait ressurgi, comme ça, au hasard d’une sonnerie de téléphone.
- Allo, Ernest?
- Oui. C’est qui?
- C’est Layâl.
Elle avait dit ça comme une évidence. De ces évidences qui vous giflent... Elle était en ville et voulait venir lui dire bonjour. Ernest avait accepté le rendez-vous presque instinctivement.
- C’est Layâl.
Il avait bandé. Déçue que l’érection ne fut pas sienne à soulager, Solitude boudait. Liberté semblait inquiète, un peu jalouse peut-être. Flemme, lovée sur le canapé usé, observait Ernest.
- C’est Layâl.
Ernest attendait, tournait en rond, et bandait.
Ernest ne sortait jamais. Ou presque. Parfois il était obligé, pour du pain, du lait ou des cigarettes. Le reste du temps, il regardait la télé, écrivait des articles pour des magazines de poils et de chairs, histoire de gagner son beurre, et observait par la fenêtre la médiocrité joyeuse du monde.
Adolescent, Ernest rêvait d’une vie un peu comme dans les séries américaines. Petit à petit, il s’était payé la plupart de ses fantasmes pubères. Il croyait qu’il allait être heureux : petite place au soleil libéral, bronzer, baiser, bosser, ambition, carrière, visa gold et american express. Mais l’adolescent comblé n’arrivait pas à être heureux. Quelque chose manquait. Quelque chose ou quelqu’un. Lui. Il s’aperçut qu’il n’existait pas. Seuls existaient les bureaux en formica noir, les chèques de fin de mois, les pétasses blondes et brunes, les amis du samedi soir, les autres... Les autres, ces fantômes. Mais lui n’existait pas. Alors il est parti. Pour se trouver, disait-il. En vain. Puis il est revenu. Il est revenu et a décidé de s’isoler. Du monde vampire. Des sociétés et des systèmes. Des pendules et des kilomètres. De s’isoler et d’être. Enfin.
A l’intérieur des murs crasseux, Ernest était né. Fils de lui-même, maître de son espace-temps, libre. Enfermé mais libre. Mais Liberté est l’amante de Solitude. Elles se regardent, se frôlent, s’entrelacent, se confondent, puis, doucement, lentement, se séparent, un peu, trop peu, avant une nouvelle étreinte. Ernest a toujours aimé les ménages à trois. Aimer l’une tout en se faisant sucer par l’autre semblait être un régime sain. Le tout était de ne pas trop se faire sucer, garder un certain équilibre. Mais Solitude a la fellation vorace et Liberté est tellement amoureuse... Fallait s’y faire, il s’y est fait. Et de cette union triangulaire est née Flemme. Une enfant rebelle, jolie comme une chatte de gouttière, bandante comme une utopie. Ernest pouvait enfin être heureux.
Mais aujourd’hui, dans le petit appartement gris, Ernest tournait en rond. Il attendait Layâl, une ancienne blessure brune qui avait ressurgi, comme ça, au hasard d’une sonnerie de téléphone.
- Allo, Ernest?
- Oui. C’est qui?
- C’est Layâl.
Elle avait dit ça comme une évidence. De ces évidences qui vous giflent... Elle était en ville et voulait venir lui dire bonjour. Ernest avait accepté le rendez-vous presque instinctivement.
- C’est Layâl.
Il avait bandé. Déçue que l’érection ne fut pas sienne à soulager, Solitude boudait. Liberté semblait inquiète, un peu jalouse peut-être. Flemme, lovée sur le canapé usé, observait Ernest.
- C’est Layâl.
Ernest attendait, tournait en rond, et bandait.
CHRONIQUES DE BEYROUTH ET D'AILLEURS
Préface de Bélinda Ibrahim
"Il y a des rencontres qui ne sont jamais fortuites. Lorsqu’en 2005, j’ai fait la connaissance de Claude El Khal dans une maison d’édition où nous déposions tous les deux notre premier tapuscrit, je n’aurais jamais pensé que 7 ans plus tard, j’aurais le privilège de préfacer l’ouvrage de celui qui-entre-temps- était devenu mon ami. Un ami qui a du talent et du génie à en revendre. Et beaucoup de cœur aussi. Lorsque Claude El Khal s’exprime, chaque mot est étudié, voulu, exigé et rendu. Le choix qu’il en fait est si personnel que l’on peut affirmer qu’il écrit comme on brode une tapisserie. Il se fait tantôt scalpel, tantôt plume : il tranche et il caresse. Sa chronique bimensuelle initiée par moi dans « Santé Beauté » et qu’il a choisit d’intituler « Le monde selon moi » s’est aussitôt placée au-dessus de la mêlée, pour devenir le rendez-vous incontournable que ses lecteurs attendent avec impatience. Auteur, scénariste et réalisateur, Claude El Khal a ceci de particulier : il est doté d’une peau multiple qui reste néanmoins inscrite sous le même ADN. Celui de l’amour des mots. Passionné et passionnant, ce résistant dans l’âme porte un regard sur la vie et sur l’amour sous le titre de la fidélité à soi-même et à ce en quoi l’on croit. Et ceci lui réussit fort bien puisque son dernier court métrage en date « Ecce Hommos » poursuit avec succès son tour du monde. Et s’il faut à tout prix lui trouver une obsession, ce serait celle de la ponctuation dans ses écrits pour laquelle il réclame un respect total. Et on comprend parfaitement sa revendication : cet homme respire à un rythme qui lui est propre. Il inspire et expire entre les mots. Ces derniers ne lui font pas peur et il prône sa vérité crument. Au risque de choquer certaines âmes prudes ou sensibles. En effet, lorsque Claude El Khal donne son avis, c’est de l’artillerie lourde enrobée de finesse. Depuis son observatoire haut perché sur son blog en ligne, il écrit, dénonce, s’enflamme, se désole. Et son monde à lui, il le décompose et le recompose sans cesse, dans une quête incessante d’un compromis d’idéal. À défaut d’atteindre l’inaccessible étoile. Dire que les éditions « noir sur blanc » sont honorées de faire leur baptême de l’encre en publiant ses chroniques serait peu. Ce sont des noces de papier à fêter sur un tapis rouge."
"Il y a des rencontres qui ne sont jamais fortuites. Lorsqu’en 2005, j’ai fait la connaissance de Claude El Khal dans une maison d’édition où nous déposions tous les deux notre premier tapuscrit, je n’aurais jamais pensé que 7 ans plus tard, j’aurais le privilège de préfacer l’ouvrage de celui qui-entre-temps- était devenu mon ami. Un ami qui a du talent et du génie à en revendre. Et beaucoup de cœur aussi. Lorsque Claude El Khal s’exprime, chaque mot est étudié, voulu, exigé et rendu. Le choix qu’il en fait est si personnel que l’on peut affirmer qu’il écrit comme on brode une tapisserie. Il se fait tantôt scalpel, tantôt plume : il tranche et il caresse. Sa chronique bimensuelle initiée par moi dans « Santé Beauté » et qu’il a choisit d’intituler « Le monde selon moi » s’est aussitôt placée au-dessus de la mêlée, pour devenir le rendez-vous incontournable que ses lecteurs attendent avec impatience. Auteur, scénariste et réalisateur, Claude El Khal a ceci de particulier : il est doté d’une peau multiple qui reste néanmoins inscrite sous le même ADN. Celui de l’amour des mots. Passionné et passionnant, ce résistant dans l’âme porte un regard sur la vie et sur l’amour sous le titre de la fidélité à soi-même et à ce en quoi l’on croit. Et ceci lui réussit fort bien puisque son dernier court métrage en date « Ecce Hommos » poursuit avec succès son tour du monde. Et s’il faut à tout prix lui trouver une obsession, ce serait celle de la ponctuation dans ses écrits pour laquelle il réclame un respect total. Et on comprend parfaitement sa revendication : cet homme respire à un rythme qui lui est propre. Il inspire et expire entre les mots. Ces derniers ne lui font pas peur et il prône sa vérité crument. Au risque de choquer certaines âmes prudes ou sensibles. En effet, lorsque Claude El Khal donne son avis, c’est de l’artillerie lourde enrobée de finesse. Depuis son observatoire haut perché sur son blog en ligne, il écrit, dénonce, s’enflamme, se désole. Et son monde à lui, il le décompose et le recompose sans cesse, dans une quête incessante d’un compromis d’idéal. À défaut d’atteindre l’inaccessible étoile. Dire que les éditions « noir sur blanc » sont honorées de faire leur baptême de l’encre en publiant ses chroniques serait peu. Ce sont des noces de papier à fêter sur un tapis rouge."
CARTOONS
Préface de Médéa Azouri
"Un jour, en ouvrant Facebook comme tous les matins, apparaît dans mon fil d’actualité et sur le compte de Claude El Khal, un dessin. Une caricature de Coluche. Ce dessin me fait rire et je demande à Claude El Khal que je ne connaissais pas à l’époque, qui en était l’auteur. Claude me répond que c’est lui. Le dessin n’était pas signé.
Claude El Khal a voulu tester la réaction des gens en postant un de ses vieux sketches qu’il avait retrouvé dans des cartons. L’écho fut positif. On venait de découvrir que celui qui n’a jamais voulu ne porter qu’une casquette – même s’il en porte une tous les jours – était également un dessinateur plein d’humour. Scénariste, cinéaste, pubard, auteur, il dessine depuis toujours.
Des illustrations à la place de quelques lignes pour statuer sur l’absurdité de notre vie au Liban ? La démarche d’un dessin au lieu d’un texte ? Claude El Khal a tout compris. Du noir, du jaune et quelques taches de rouge. Mais du noir surtout. Pourquoi ? Parce que. Parce qu’un feu au bout d’un tunnel est forcément doré, les cheveux de Dalida aussi. Parce que le jaune, le rouge et le noir se marient bien. Parce que le noir lui va si bien.
Catharsis ? Oui. Pour lui, comme pour nous. À travers des séquences drôles mais aussi d’autres plus graves. Du sociétal, de la politique, de l’humour. Oui. Mais aussi de l’affection. Une affection certaine pour son pays. Ce pays de toutes les contradictions.
Ses dessins et leurs phrases viennent simultanément. Il joue avec les mots comme il joue avec son crayon. C’est du simultané. Pas un texte illustré. C’est de l’instantané. Un instantané qui résonne comme un clic de photo. Comme une claque.
Il réunit aujourd’hui, dans son ouvrage, ce qu’il considère comme étant ses dessins les plus parlants. Sans censure aucune. Avec causticité et tendresse, il nous fait sourire au fil des pages. Et on le devine souriant, derrière son écran."
"Un jour, en ouvrant Facebook comme tous les matins, apparaît dans mon fil d’actualité et sur le compte de Claude El Khal, un dessin. Une caricature de Coluche. Ce dessin me fait rire et je demande à Claude El Khal que je ne connaissais pas à l’époque, qui en était l’auteur. Claude me répond que c’est lui. Le dessin n’était pas signé.
Claude El Khal a voulu tester la réaction des gens en postant un de ses vieux sketches qu’il avait retrouvé dans des cartons. L’écho fut positif. On venait de découvrir que celui qui n’a jamais voulu ne porter qu’une casquette – même s’il en porte une tous les jours – était également un dessinateur plein d’humour. Scénariste, cinéaste, pubard, auteur, il dessine depuis toujours.
Des illustrations à la place de quelques lignes pour statuer sur l’absurdité de notre vie au Liban ? La démarche d’un dessin au lieu d’un texte ? Claude El Khal a tout compris. Du noir, du jaune et quelques taches de rouge. Mais du noir surtout. Pourquoi ? Parce que. Parce qu’un feu au bout d’un tunnel est forcément doré, les cheveux de Dalida aussi. Parce que le jaune, le rouge et le noir se marient bien. Parce que le noir lui va si bien.
Catharsis ? Oui. Pour lui, comme pour nous. À travers des séquences drôles mais aussi d’autres plus graves. Du sociétal, de la politique, de l’humour. Oui. Mais aussi de l’affection. Une affection certaine pour son pays. Ce pays de toutes les contradictions.
Ses dessins et leurs phrases viennent simultanément. Il joue avec les mots comme il joue avec son crayon. C’est du simultané. Pas un texte illustré. C’est de l’instantané. Un instantané qui résonne comme un clic de photo. Comme une claque.
Il réunit aujourd’hui, dans son ouvrage, ce qu’il considère comme étant ses dessins les plus parlants. Sans censure aucune. Avec causticité et tendresse, il nous fait sourire au fil des pages. Et on le devine souriant, derrière son écran."