Roman : FLEMME (extrait)

Pour Layâl, magnifique gladiateresse, l’amour était un combat à mort. Nada était différente. Tendrement, délicatement, cette petite fille aux grands yeux noirs, savait apaiser les tempêtes et soigner les blessures. Elle s’offrait comme on ne s’offre plus. Par petites touches timides, comme un jeune artisan devant son premier métier. Comme un vieux poète composant son dernier vers.

Son ventre, accueillant comme une mère, Ernest y serait bien resté enfoncé jusqu’à la fin des jours. Et si c’était ça l’amour... Oui, bon, c’est vrai qu’il l’aimait beaucoup, mais aimer beaucoup c’est pas aimer. Aimer est un verbe entier. Et tous les aimer-un-peu, aimer-bien, aimer-beaucoup ne sont que des verrues sémantiques. Tout comme les aimer-passionément et les aimer-à-la-folie. Ou les monter-en-haut et les sortir-dehors. Aimer se suffit à lui même. Les doses d’amour ça n’existe pas. Ça vous prend ou ça vous prend pas. Mais quand ça vous prend, c’est comme les chaleurs d’une chatte. Vous êtes là, le trou à l’air, suppliant, hurlant parfois, tellement impuissant... Non, c’était pas de l’amour. Pourtant, Ernest savait que ce ventre-là était le ventre de sa vie. Malheureusement, le cul de sa vie, lui, était ailleurs. Et s’appelait Layâl. Nada et Layâl c’était comme les revers d’une médaille qu’il n’aura jamais. Si Dieu existe, faudrait qu’il arrête de boire, pensa-t-il.

- Je dois rentrer, dit Nada.

Il fallait qu’elle rentre. Il faut toujours qu’elles rentrent. Y avait pas moyen. Ces putains de réveils, il faut qu’ils puent la couillonade. Sine qua non. Le café chaud et les toasts, il paraît que ça n’existe que dans Lelouch. Parfois Ernest aurait bien aimé être un personnage de Lelouch. Hop une chanson, un baiser, et la misère est lavée.

- Je dois rentrer.

Elle s’étira lentement, offrant un lever de poitrine digne des plus belles cartes postales. Ses seins, ronds et lourds, pointaient leur nez avec une légèreté extraordinaire. Ils volaient presque, uniquement retenus par la soie blanche et légèrement transparente de sa peau.
Ernest oublia Lelouch et la métaphysique et se mit à regarder Nada. Il se dit qu’elle était belle. Une cascade de jais pleuvait sur un visage d’enfant. Deux grands yeux d’encre s’ouvraient avec étonnement sur un monde pas tout à fait étonnant. Moue boudeuse, nez coquin, elle ressemblait un peu à un péché. Le jais continuait sa pluie sur des épaules légèrement maigres à la naissance mais qui progressivement s’arrondissaient comme des fesses de bébé. Son cou, un peu trop long, lui donnait un faux-air d’extraterrestre. Ernest resta un instant fixé sur ce petit creux, à la racine du cou, peu avant la poitrine, là où perle parfois la sueur. Et qui tremble quand on respire. D’habitude, Ernest haïssait toute forme de transpiration, mais là, dans ce petit creux-là, tout un monde. Pour le décrire il aurait fallu Brassens. Gardons-nous de parodier. Son regard glissa sur la poitrine et entama la délicieuse descente vers le ventre. Ce ventre adoré, ce berceau, cet Eden. Soudain, il trébucha. La fine couverture mi-coton mi-polyester lui barrait la route. Salope! pensa-t-il. Miraculeuse salope! Alourdie par l’humidité de l’air et des corps, la couverture métisse, tel le voile d’une impudique vestale, murmurait la plus belle des toisons. Ses jambes, ces fleuves, coulaient vers l’infini. Et au bout, là-bas, tout là-bas, à la frontière de l’univers, Ernest devinait la douce cambrure des pieds, finie par une fête de nacre rose.

- Il faut que j’y aille, aurait dit Layâl.
- Je dois rentrer, dit Nada.

Layâl se devait toujours de partir, Nada se devait toujours de revenir. Quand Layâl partait à la conquête du monde, Nada, elle, rentrait chez ses parents. Chabadabada revoilà Lelouch.

© Tamyras, 2005

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