Dialogue de sourds (à Raymond Devos)














- Je suis un chien qui suit.

- Non, on dit je suis un chien qui est.

- Mais non, ce n’est pas un chien qui est, c’est un chien qui suit, suit du verbe suivre.

- Mais comment peut-il suivre s’il n’est pas?

- S’il n’est pas suivi?

- Non, s’il n’est pas tout court.

- Je ne vois pas, un chien peut très bien suivre s’il n’est pas court.

- Mais non, qu’il soit court ou long n’est pas notre problème.

- C’est le sien.

- Evidemment.

- Alors je ne vois pas le problème.

- Mais si… Un chien peut-il suivre s’il n’est pas?

- S’il n’est pas quoi?

- S’il n’est pas.

- Comment?

- S’il n’existe pas.

- Tu veux dire: comment un chien peut-il suivre s’il n’existe pas?

- C’est ça.

- C’est un faux problème.

- Pourquoi?

- Parce que ce chien existe, puisque c’est moi.

- Ah c’est toi?

- Oui.

- Et depuis quand es-tu chien?

- Je ne sais pas… Peut-être depuis que je suis.

- Qui?

- Comment?

- Depuis que tu suis qui?

- Depuis que je suis moi.

- Non, on dit: depuis que je me suis.

- Je ne comprends pas, depuis que je me suis quoi?

- Depuis que tu t’es suivi.

- Mais je ne me suis pas.

- Qui suis tu alors?

- Mais je ne suis personne.

- Alors comment peux-tu être un chien si tu n’es personne?

- Qu’est ce que tu racontes? Je suis quelqu’un mais je ne suis personne.

- C’est inouï!

- Quoi? Qu’est ce qui est inouï?

- C’est inouï parce que tu n’existes pas.

- Comment ça je n’existe pas?

- Tu n’es personne…

- Mais si… Mais je ne suis personne, du verbe suivre. Enfin…

- Ça ne change rien au problème.

-Qu’est ce que tu veux dire? Je ne te suis plus.

- C’est normal puisque tu ne suis personne.

- Ne dis pas n’importe quoi.

- Mais si, suis moi bien…

- Je ne pense pas que je veuille te suivre.

- Pourquoi?

- Parce que je ne suis pas n’importe qui.

- Ça devient compliqué.

- À qui le dis-tu?

- À toi.

- Enfin bon, on va pas en faire un oeuf…

- Non, on dit: on va pas en faire un plat.

- Oui, un oeuf au plat.

- Ou un plat tout neuf.

- Ou un oeuf tout plat.

- On en sort pas…

- Non…

- Et si on essayait?

- De quoi?

- De s’en sortir.

- Essayons, passe le premier.

- D’accord, tu me suis?

- Je te suis.


© Claude El Khal, 2009