"Anne, ma sœur Anne"


Chaque Libanais a ses Syriens et les aime selon sa couleur politique.

S’il est du 8 Mars, la vue, il y a quelques jours, de l'immense foule de réfugiés allant voter Assad, drapeaux et portraits à bout de bras, lui a surement donné une petite érection. S’il est du 14 Mars, c’est la nausée qui l’a envahi. Lui, c’est le drapeau de la révolution et les chants anti-régime qui sont matière aux petites joies érectiles.

Par contre, tous, ou presque, sont d’accord pour clamer en chœur : “yalla, ouste, on vous a assez vu, pliez bagages et enfants et rentrez chez vous, on vous aimera mieux quand vous serez parti !”

Evidemment, chacun aimerait bouter les Syriens de l’autre.

Le secrétariat général du 14 Mars, organisme inutile qui ne représente plus en rien le mouvement populaire de 2005, a encore une fois raté une occasion de se taire en demandant au gouvernement de renvoyer chez eux les Syriens pro-Assad. Comme si les autorités pouvaient identifier les convictions idéologiques des uns et des autres par un simple examen de sang, ou d’ADN si on veut y mettre les moyens.

A moins de créer une police politique, ou pourquoi pas une police de la pensée, qui se mettrait à ficher et tagger tous les syriens présents au Liban.


Ironiquement, hier encore, ce même organisme, et tous ceux qui partagent encore son discours, hurlaient au racisme, à la bête immonde, dès que quelqu’un osait affirmer que le nombre de réfugiés Syriens, 1.5 millions selon les chiffres officiels, était un danger pour le Liban.

Ces braves dont l’héroïsme se limite aux réseaux sociaux et aux plateaux télé, crient à une nouvelle occupation syrienne, et en bons petits résistants, se vouent à la combattre.

Pourtant, pendant ladite occupation, la vraie, celle qui a duré 30 ans, avec ses chars et ses canons, ses soldats et ses moukhabarat, il n’y en avait pas beaucoup qui se sentaient l’âme résistante. Et s’accommodaient tant bien que mal de cette nuisance passagère.

En fait, il faisait bon faire des affaires avec le grand et puissant voisin, et les mots “despote”, “dictature”, “liberté” se faisaient bien rares. Il faut dire que pester contre des civils c’est moins risqué. Et qu’un marmot qui pleure dans chaque bras, c’est quand même moins dangereux que les sous-sols du Beau Rivage.

Quand au 8 Mars, dont l’extralibanité n’est plus à démontrer, ce sont les Syriens anti-régime qu’il aimerait voir passer la frontière, si ce n’est de vie à trépas.

"Anne, ma sœur Anne, si j’te disais ce que je vois venir", chantait Louis Chédid.

Et moi je chante avec lui. 


© Claude El Khal, 2014