Le Liban n’est pas grand, mais Salma est son prophète

Salma Hayek, que tout le monde au Liban appelle simplement “Salma”, comme une cousine ou une bonne copine, a posé son joli pied sur notre sol national. 

Soudain, venu du fond de nos entrailles patriotiques, un immense et tonitruant pet de fierté.

Quand Georges Clooney a épousé Amal Alameddine ("Ammoula" pour les autochtones qui sont tous forcément un peu de ses intimes), c’est le Liban entier qui célébré les noces et s’est senti pousser des ailes hollywoodiennes.

Quand Amin Maalouf a été élu membre de l’Académie Française, la République libanaise dans son ensemble s’est trouvée des talents littéraires et a découvert la plume et le clavier comme leurs ancêtres avaient découvert le feu et la man’ouché.

Ah qu’il est beau le génie libanais quand il nous vient d’ailleurs. Comme on est fier de nos Nicolas Hayek, inventeur de la Swatch, de nos Carlos Ghosn, über-patron de l’industrie automobile, de nos Gabriel Yared, Oscar de la meilleure musique de film pour "The English Patient", de nos Mika, sauf quand il fait perdre Hiba Tawaji à The Voice, de nos Léa Salamé, qui passe tous les samedi soirs à la télé française.

Comme la foule est nombreuse pour les célébrer. Et comme la foule était maigre à l’enterrement de Raymond Gebara

S’il avait quitté le Liban, Raymond Gebara serait sans doute devenu une icône du théâtre français, et même, pourquoi pas, une star de cinéma. Un Louis Jouvet peut-être, ou un Jean-Louis Trintignant. Ou un Ian McKellen, s’il avait décidé de poser ses valises en Grande Bretagne.

Mais Raymond Gebara était resté au Liban. Fidèle jusqu’au bout à sa passion et à son pays.

Avant lui, d’autres géants ont disparu dans l’indifférence d’un peuple qui regarde toujours ailleurs, qui cherche inlassablement une main étrangère pour lui grattouiller l’échine pendant qu’il remue joyeusement la queue. Un peuple à l’âme éternellement colonisée. Servile envers les puissants, cruels envers les autres.

Comme Raymond Gebara, Mahmoud Mabsout, le Fehmein de notre enfance, était parti en silence dans un pays pourtant si bruyant. Avant lui, il y a bien des années, un autre génie comique, Hassan Alaaddine, plus connu sous le nom de Chouchou, est mort pauvre et délaissé par tous ceux qu’il avait tant fait rire. Aujourd’hui, Salah Tizani, notre Abou Salim national, en est réduit à quémander publiquement n’importe quel rôle pour ne pas à avoir faim.

Dans ces pays que les Libanais aiment à prendre pour exemple, on honore ses talents, on leur rend hommage, les télévisions nous invitent souvent à les retrouver, et pour les nouvelles générations, à les découvrir.

Mais qui aujourd’hui, au Liban, se souvient et rend hommage à Feryal Karim, à Elie Snayfir, à Hind Abillama, à Nabih Aboul Hosn, à Leila Karam ou à Majed Afyouni ?

Je ne vais pas me demander que seraient devenus Salma Hayek, Amin Maalouf ou Nicolas Hayek s’ils n’avaient pas eu l’opportunité, oserais-je dire la chance, d’être soit des exilés soit nés ailleurs. Mais que seraient devenus, s’ils étaient des Libanais restés au Liban, Louis de Funès et Coluche, Jacques Prévert et Georges Brassens, Aznavour et Barbara, Spielberg et Tarantino, Al Pacino et Meryl Streep, John Lennon et Leonard Cohen, Samuel Becket et Charles Bukowski, Andy Warhol et Jean-Michel Basquiat, Peter Sellers et les Monty Python ?
Ne m'en veuillez pas, mais j’ai soudain une furieuse envie de faire mes valises. 


© Claude El Khal, 2015