Moutons de Panurge ou Syndrome de Stockholm?


Les Libanais sont-ils des moutons de Panurge, comme l’a déclaré le journaliste et présentateur Marcel Ghanem ? Ou bien sont-ils atteints du Syndrome de Stockholm comme le suggère le cinéaste Hany Tamba ?

Les Libanais vivent un rapport étrange avec leurs dirigeants. Ils les insultent à longueur de journée, les traitent de voleurs, de corrompus, d’incapables et de salauds mais quand vient l’heure de voter, ils les réélisent haut la main.

Pire : quand les élections sont purement et simplement annulées et que leur droit fondamental et constitutionnel d’élire leurs représentants leur est retiré, ils ne bronchent pas, mais continent à égrener leur inlassable chapelet d’injures.

Ces derniers mois ont clairement montré à quel point les Libanais, toutes confessions et classes sociales confondues, étaient incapables de se passer de leurs dirigeants, qui pourtant font si peu de cas de leur bien-être, voire de leur vie.

Les poubelles s’amoncellent partout depuis sept mois, les maladies se multiplient, les hôpitaux sont pleins à craquer, les services d’urgence ne savent plus où donner de la tête, et nos dirigeants continuent leurs petites magouilles, font leurs petites affaires, et bloquent toute solution à une crise dont ils sont eux-mêmes les responsables. Et ils continueront à le faire tant qu’ils n’en auront pas tiré le maximum de profit.

Inutile de citer la très longue liste de services élémentaires dont sont privés les Libanais – électricité, eau courante, eau potable, etc. – ni de s’étendre sur la paupérisation rapide de la population, alors que leurs dirigeants s’enrichissent à vue d’œil, pour comprendre l’étendue du désastre.

Des milliers de Libanais ont bien manifesté et exprimé leur colère pendant quelques semaines. Mais ils étaient une minorité. Et sont rapidement rentrés chez eux. Quant au reste, ils ont râlé, pesté, craché, mais se sont finalement dit qu’ils n’y pouvaient rien. Et que oui, c’est vrai, les politiciens sont des ordures, mais pas leur leader à eux. Lui, il n’est pas comme les autres. Lui, il est formidable, sans reproches et sans défauts.

Sont-ils des moutons, comme la déclaré avant tant de véhémence Marcel Ghanem en ouverture de son émission Kalam Ennas, les suiveurs hébétés de bergers malhonnêtes et arrogants, ou bien s’agit-il de tout autre chose ?

Dans le clip qu’il a réalisé pour le groupe franco-libanais Teleferik, Hany Tamba* met en scène une femme malheureuse, délaissée, battue – magnifiquement interprétée par la comédienne et danseuse Caroline Hatem. Métaphore émouvante du peuple libanais.

Cette figure tragique, belle et diaphane, ne parvient pas, malgré toutes les choses qu’elle a pu se dire, toutes les promesses qu’elle a pu se faire, toutes les révoltes qui bouillonnent en elle, à se séparer de cet homme, ce monstre, ce diable qui la tourmente.

"Quand le groupe Teleferik m’a proposé de mettre en images un morceau de leur début album Lune Electrik, j’étais, bien évidemment ravi, raconte Hany Tamba. Le morceau en question, Mystic Machine, n’est pas le titre du CD le plus facile à illustrer. En écoutant les paroles poétiques décrivant un Beyrouth rêvé mais qui change et noircit, 'Un Levant qui tourne noir, amer comme le marc', je ne pouvais m’empêcher de voir des images illustrant de manière littérale ces propos. Des images de la ville, des constructions, d’embouteillages et de poubelles… Tout ce que je ne voulais pas, car on peut facilement tomber dans les clichés."

"Ce que je voulais, continue-t-il, c’est raconter le pays de façon indirecte et subtile tout en injectant une atmosphère pesante. J’ai donc choisi l’histoire d’un couple, d’une femme enfermée entre quatre murs et qui rêve de liberté en attendant le retour de son partenaire violent et autoritaire. Elle écrit, elle danse… Elle connaît son sort, sait qu’elle devrait quitter son mari et changer de vie, mais ne peut pas, ne veut pas car elle espère tous les jours que les choses changeront. Le Syndrome de Stockholm en quelque sorte, créant un parallèle avec la relation compliquée que les Libanais entretiennent avec leur pays et leurs dirigeants."

Les Libanais, trop longtemps prisonniers d’un système confessionnel éculé et d’une société gangrenée par la corruption, auraient-ils développé empathie et sympathie envers leurs geôliers / dirigeants comme cette femme meurtrie envers son geôlier / mari ?

Si ce n’était pas le cas, comment expliquer cette soumission, cette acceptation de l’inacceptable, cette incapacité de s’émanciper, et surtout cette affection indulgente qu’ont les libanais pour des leaders qui les ignorent ou les maltraitent ?

Moutons de Panurge ou Syndrome de Stockholm, qu’en pensez-vous ?




* Hany Tamba a realisé plusieurs court-métrages, dont 'Mabrouk Again' et 'After Shave' (César du Meilleur Court Métrage en 2006) et un long-métrage 'Melodrama Habibi'.