Coluche, l’histoire d’un subversif


Le 19 juin 1986, la nouvelle est tombée comme une énorme claque qu’on se prend dans la gueule alors qu’on avait rien demandé et qu’on emmerdait personne : Coluche est mort. Accident de moto dira la version officielle. Assassinat diront certains. Mais saura-t-on jamais la vérité.

Coluche a été une tornade, il a rué dans les brancards de tout un monde poli et bien coiffé. Celui des politiques, des journalistes, des cons et des hypocrites. Coluche c’était Cyrano au bistrot. C’était Charlie-Hebdo et Hara-Kiri réunis sous un seul nez de clown. Gros et grossier, il était d’une finesse surprenante. Qui d’autre aurait pu nous faire rire avec des points de suspensions, comme dans son premier sketch en solo : "C’est l’histoire d’un mec".

Coluche a fait rire, Coluche a fait peur, il a fait ce que tous les hommes politiques ont promis de faire mais, surprise !, n’ont jamais tenu leur promesse : donner à manger à ceux qui avaient faim. Mais Coluche n’était pas un saint, il ne faut pas lui faire cette injure. C’était un génie. Sorti d’une lampe appelée Café de la Gare. Et qui a fait son trou dans votre cœur et dans le mien.

Du café de la Gare au Vrai Chic Parisien

Au lendemain de Mai 68 où il lançait des boulons sur les flics, Michel Colucci le petit voyou de Montrouge, devenu Coluche, rejoint la troupe du Café de la Gare, fondé par l’auteur, acteur et metteur en scène Romain Bouteille. Ce précurseur du café-théâtre réuni dans des spectacles échevelés une bande de jeunes comédiens inconnus. Ces jeunes inconnus s’appellent, entre autres : Patrick Dewaere, Miou-Miou, Gérard Depardieu, Renaud, Gérard Lanvin, Thierry Lhermitte, Josyane Balasko ou encore Gérard Jugnot.

Après une violente dispute avec Romain Bouteille, il quitte le Café de la Gare et fonde sa propre troupe : Le Vrai Chic Parisien. Mais là encore, son caractère excessif le force à s’en aller et à se lancer dans une carrière solo.



Le premier sketch : C’est l’histoire d’un mec

Dès son premier sketch en solo : "C’est l’histoire d’un mec", Coluche fait un tabac et se fait remarquer par Paul Lederman, le producteur de Claude François et de Thierry Le Luron. Son one-man-show "Mes adieux au Music Hall" est un succès fulgurant. Le clown grossier qui "pense tout haut", en tee-shirt jaune et salopette de prolo, devient une icône nationale.



Avoir l’air con peut être utile, l’être vraiment serait plus facile

Très lucide sur son nouveau statut, Coluche se moque de lui-même dans une chanson "L’andouille qui fait l’imbécile" : "J'ai été lancé comme un paquet de lessive / On dit que je m'écraserai comme un paquet de mouise (…) J'ai pas de messages, ni de méchanceté / Pourtant j'ai le grand avantage / D'être détesté par la moitié / Des Belges, des Suisses et des Français". Et de conclure : "Avoir l’air con peut être utile / l’être vraiment serait plus facile".



Vous n’aurez pas l’Alsace et la Lorraine

Durant sa carrière, Coluche n’a réalisé qu’un seul film : "Vous n’aurez pas l’Alsace et la Lorraine", une comédie burlesque délirante. Ce film, malheureusement peu apprécié à sa juste valeur, est un peu l’équivalent français de "Monty Python and the Holy Grail". Le casting est formé de ses copains du Café de la Gare – un casting de rêve, comme on dirait aujourd’hui.



Coluche Président !

En 1981, après s’être fait virer d’Europe 1 puis de Radio Monte Carlo, Coluche décide de contourner la censure qui le frappe et se présente à l’élection présidentielle face à Valéry Giscard d’Estain et François Mitterrand. Charlie-Hebdo et Hara-Kiri deviennent ses porte-paroles officiels. Mais ce qui a commencé en plaisanterie se termine en tragédie. Après l’assassinat de son régisseur, Coluche reçoit de plus en plus de menaces de mort. L’une de ces menaces, laissée sur son répondeur, est aujourd’hui encore plus glaçante qu’elle le fut à l’époque : "ta passion pour les deux-roues pourrait t’être fatale, sois prudent, tu pourrais déraper".



Un rencard à ceux qui n’ont plus rien

Au cinéma, Coluche fait du pire et du meilleur. Le meilleur : "L’aile ou la cuisse" où il partage l’affiche avec un autre génie comique, Louis de Funès, et bien sûr "Tchao Pantin" de Claude Berri, un polar très sombre, un western urbain tragique, où il incarne Lambert, un ancien flic devenu pompiste solitaire et alcoolique. Et le pire : "La vengeance du serpent à plumes" de Gérard Oury, qu’il vaut mieux oublier.

Mais ce n’est ni au cinéma, ni à la télé, ni au Music Hall que Coluche va profondément transformer la société française. En 1985, il "file un rencard à ceux qui n'ont plus rien" et lance les Restos du cœur.



Putain de camion

Comme la menace téléphonique qu’il avait reçue cinq ans plus tôt le prophétisait, Coluche meurt dans un accident de moto le 19 juin 1986. Son deux-roues heurte un camion sur une route de campagne, il décède sur le coup. Il a 41 ans. Les chaines de télé interrompent leurs programmes pour annoncer la terrible nouvelle.



Réveille toi mon pote, ils sont devenus fous !

Depuis sa mort, on n’a jamais autant parlé de Coluche, cité ses phrases cultes, revu ses films et ses sketches. Mais il n’est plus là pour continuer à déranger. Et comme l’a dit son ami et complice Gérard Lanvin : "Coluche vivant, on n’aurait pas la France d’aujourd’hui".

Dans un vieux carton, j’ai retrouvé ce pin’s, distribué pendant les grandes manifestations étudiantes de novembre-décembre 1986, quelques mois après la mort de Coluche. Il résume tout, ce pin’s. Le clown rebelle, l’empêcheur de mentir en rond, le pourfendeur des cons et des hypocrites, la grande gueule qui a toujours refusé de la fermer n’est plus là pour l’ouvrir. Et la France ne s’en porte que plus mal. Beaucoup plus mal.