Le burkini, cette tenue de plage qui fait trembler la France


Après l’attaque contre Charlie Hebdo, la France a déclaré : "Même pas peur". Qu’elle était belle ce jour-là. Courageuse, effrontée et fière. Que s’est-il passé pour que soudain on tremble devant une tenue de plage un peu trop habillée ? Tout ça n’est-il rien d’autre qu’une distraction pour éviter les vrais débats ?

Suite à la vague d’attentats qui ont meurtri la France, le gouvernement veut se mêler de religion. Mais il oublie que le principe même de la laïcité est que l’Etat n’est pas, et ne doit pas être, compétent en la matière. La foi de ses citoyens ne le regarde en rien, et il n’a, en aucune façon, vocation à s’en mêler. Comme la religion des uns et des autres n’a pas vocation à se mêler de gouvernance et de politique.

La religion est une affaire personnelle, ses limites sont régies par la loi, qui est la même pour tous. Si un Musulman commet un crime, il sera puni en tant que criminel et non en tant que musulman. Si un imam tient un discours de haine, il ne sera pas sanctionné parce que c’est un imam, mais parce qu’il tient un discours contraire aux lois de la République. Idem pour les rabbins, les prêtres, les moines, ou n’importe quel citoyen, quelles que soient ses croyances, ses opinions, ou sa position sociale.

Pour l’Etat, imam, rabbin, prêtre ou moine est une position sociale. Comme être PDG ou employé. Ni plus, ni moins. Il ne peut intervenir dans le fonctionnement des structures qui les encadrent, comme il ne peut le faire dans celui d’une association ou d’une entreprise. A moins, bien évidemment, qu’elle n'ait enfreint la loi.

Parler d’Islam de France est aussi idiot que de parler de Judaïsme, de Christianisme ou de Bouddhisme de France. Il y a l’Islam, le Judaïsme, le Christianisme ou le Bouddhisme. Et il y a des Français musulmans, juifs, chrétiens ou boudhiste. Ce n’est pas le rôle de l’Etat de dicter à ces derniers quoi croire et comment pratiquer leur foi. Pour l’Etat, tous sont identiques au regard de la loi, et leurs libertés, comme leurs limites, sont définies en tant que citoyen français sans distinction aucune.

L’Islam de France, ça équivaudrait à quoi exactement ? Un Islam light avec un Coran débarrassé de certaines sourates considérées comme violentes ? C’est aussi absurde que de vouloir remplacer, dans la Torah, les passages où Dieu ordonne à Moïse de massacrer les Cananéens, hommes, femmes, enfants et bétail, par une longue marche pacifiste où le peuple élu entre en Canaan en offrant des fleurs aux passants. Ou prétendre que dans les Evangiles, Jésus n’a pas chassé les marchands du Temple mais a organisé des réunions de dialogue entre partenaires sociaux.

Par ailleurs, et on ne le rappelle pas assez, l’interdiction du voile intégral n’est pas due au fait qu’il soit islamique, mais parce qu’il couvre le visage de celles qui le portent, masquant ainsi leur identité. Et en République, tout le monde doit se montrer à visage découvert, sauf en période de carnaval.

Mais un voile non intégral – qui ne cache donc pas le visage – est tout à fait légal dans l’espace public. Du moins partout sauf sur les plages, nous dit-on aujourd’hui. C’est à dire qu’une femme voilée a le droit de se balader sur la promenade longeant la plage, mais si par malheur elle pose le pied sur le sable, elle est soudain hors-la-loi.

Idem si des gens allongés sur le sable, à se dorer la pilule, voient passer une femme voilée sur cette même promenade : tant qu’elle y reste ça va, mais si par malheur elle empiète sur leur territoire de bronzage et se rapproche d’eux, elle devient un danger pour leur sécurité. Par contre, si après s’être pris un bon coup de soleil, ils décident de se rafraichir dans un café, la proximité d’un voile en terrasse ne représente aucun danger.

J’aimerais que quelqu’un ait un jour l’obligeance de m’expliquer ces petites subtilités, tout en gardant son sérieux – ce qui relèverait de l’exploit.

A propos de subtilités, ne faudra-t-il pas légiférer sur la qualité du sol qu’une femme portant le voile va pouvoir fouler ? Le voile sur l’asphalte, ça va, mais sur le sable c’est interdit ! Qu’en est-t-il alors des galets ou des pavés ? Autorisés ou interdits ? Et les forêts, dont le sol n’est ni en asphalte ni en sable fin, ni même en galets ou en pavés, pourra-t-on porter le voile et s’y promener ?

Et celles qui portent aussi le voile ou se couvrent entièrement le corps, comme les nonnes ou les plongeuses, doivent-elles être également interdites de plage ? Et les hommes, il y a en a sûrement qui s’habillent plus que de raison, on en fait quoi ?

Et qu’en est-il des saisons ? L’interdiction des corps trop habillés sur les plages se limite-t-elle à l’été ? Ou bien faudra-t-il, si d’aventure venait l’envie de s’asseoir face à la mer ou de se balader le long des dunes, se déshabiller, se geler les miches et se choper une bronchite ? Ne devrait-on pas interdire tout accès aux plages en dehors de la saison estivale ?

D’autre part, on me dit – et me répète – qu’il faut interdire le voile parce que c’est un symbole d’oppression. Je peux comprendre que beaucoup le considèrent comme tel. Bien qu’en réalité, il est celui de la concupiscence des hommes, créatures lubriques dont il faut protéger les femmes.

Mais des symboles d’oppression, il y en a partout. Prenez les colliers de chien que certains aiment à porter autour du cou. Ou même dans des cas plus extrêmes, les chaînes sadomasochistes arborées dans la rue. Pourquoi personne ne veut les interdire ? Parce qu’ils font partie du domaine de la mode et non de la religion ?

Je suis absolument contre le voile, mais ça ne me regarde pas si certaines choisissent de le porter. Je suis aussi contre les jeans taille basse trop larges qui pendouillent aux fesses des ados et des rappeurs. Mais je ne vais pas aller chercher querelle à celles et ceux qui en portent. Bien que cette mode saugrenue ait des origines malheureuses.

La mode des habits trop larges vient de l’extrême pauvreté d’une grande partie de la population noire américaine. Les plus petits portent les habits des plus grands. Et comme souvent ces derniers sont en prison, pourquoi dépenser des sous qu’on n’a pas alors que leurs habits sont encore en bon état… Quand au pantalon trop bas, il trouve ses sources dans la prostitution pénitentiaire masculine. Plus symboles d’oppression que ça, tu meurs – si j’ose dire. Alors pourquoi personne n’en pipe mot ?

On cherche des noises à des femmes trop habillées sur une plage mais on vend des armes à des pays qui sont responsables de la montée de l’Islam radical en France et partout ailleurs. On pénalise le burkini mais on soutient, dans certaines régions du monde, des islamistes et des jihadistes que l’on prétend combattre chez soi. Le vrai débat est là. Et il est grand temps de l’ouvrir au lieu de se laisser distraire par des polémiques stériles et imbéciles.


© Claude El Khal, 2016