Non, Michel Aoun n’est pas "un Trump au pays du Cèdre"


En démocratie, la critique est indispensable et l’opposition, vitale. Critiquer les choix politiques du général Michel Aoun ou s’opposer à son élection à la présidence de la République est aussi sain à la fragile démocratie libanaise que colporter des chimères ou des rumeurs infondées lui sont dangereusement nocives.

Dans un article intitulé "Un Trump président au pays du Cèdre", publié par le quotidien panarabe Al-Hayat puis repris dans Courrier International, le journaliste Hazem Saghieh écrit : "Prévue le 31 octobre, l’élection du bouillonnant général Michel Aoun, 81 ans, par le Parlement n’annonce rien de bon tant pour les réfugiés syriens que pour la société civile libanaise et ses multiples ONG".

Cet article est malheureusement truffé de contre-vérités, pour ne pas dire de mensonges. Mais avant de les réfuter, attardons-nous un peu sur le titre et l’analogie absurde entre Michel Aoun et Donald Trump.

Donald Trump est un homme d’affaire, issu d’une famille aisée. Un milliardaire bling-bling qui ne s’est jamais vraiment occupé de politique avant d’être un candidat improbable à la présidentielle américaine. Son discours est raciste, islamophobe, sexiste et insultant à l’intelligence la plus élémentaire. Il est rejeté par la quasi-totalité de la classe politique américaine et ne bénéficie même plus du soutien des membres influents du parti dont il est le candidat.

Michel Aoun est un militaire de carrière, issu d’un milieu très modeste. Il fut commandant en chef de l’armée – la seule institution libanaise véritablement aconfessionnelle – puis Premier ministre. Il a mené une guerre de libération contre l’occupation syrienne, avant de devoir s’exiler pendant quinze ans, durant lesquelles nombre de ses partisans ont été arrêtés et torturés. De retour au Liban, il a créé un parti, le CPL, qui est devenu l’une des principales forces politiques du pays, et a été élu deux fois député. Sa candidature est aujourd’hui soutenue par la quasi-totalité des composantes politiques et confessionnelles du pays.

Mis à part un certain populisme qui est regrettablement l’apanage de tous les politiques, aux Etats-Unis, en Europe comme au Liban, ni les hommes, ni leurs discours ne sont comparables. D’ailleurs le titre original de l’article est : "Aoun président ? Qui sont les victimes ?" Il faut croire que le titre français est une trouvaille malheureuse de la rédaction de Courrier International.

Alors, qui sont les "victimes" de "Aoun président" ? Hazem Saghieh affirme que les premières victimes seront les réfugiés syriens parce qu’ils "font l’unanimité contre eux" et que "tout le monde les considère comme des intrus, cause de tous les maux du Liban".

Le Liban est le pays qui, proportionnellement à sa population, a accueilli le plus de réfugiés syriens : 1.5 millions de réfugiés – chiffre officiel de l’ONU, alors que des sources gouvernementales libanaises parlent de près de 2 millions – pour 4.3 millions de Libanais. C’est à dire qu’au bas mot, plus d’un habitant sur trois au Liban est un réfugié syrien.

Malgré ce chiffre alarmant, aucun incident xénophobe majeur n’a été rapporté à ce jour. Alors que les témoignages contraires abondent. Des dérapages ont bien sûr eu lieu ça et là, mais pas grand-chose en comparaison avec d’autres pays où le nombre de réfugiés est de loin moins important. Ce ne sont donc pas les réfugiés qui "font l’unanimité contre eux", comme le prétend Saghieh, mais leur nombre excessif et le peu d’aide internationale que le Liban reçoit pour leur garantir des conditions d’accueil décentes.

Dire que les Libanais considèrent les réfugiés comme la "cause de tous les maux du Liban" est également faux. Depuis le début de la guerre en Syrie et l’afflux de réfugiés, le Liban a connu plusieurs secousses politiques et un soulèvement populaire d’envergure, dont la crise des ordures a été le déclencheur. D’importantes manifestations ont eu lieu, contre la corruption, la classe politique libanaise, le manque d’eau et d’électricité, l’annulation des élections législatives, les deux prorogations du Parlement, mais jamais contre les réfugiés syriens. Aucun discours, aucun slogan, aucune revendication durant ce soulèvement populaire de l’été 2015 n’a mentionné, directement ou indirectement, les réfugiés.

Si les réfugiés syriens sont des victimes, ils sont ceux de l’effroyable guerre en Syrie et de ceux qui l’alimentent, et non celles du général Aoun et des Libanais accusés de "chauvinisme décomplexés", comme l’affirme Hazem Saghieh, qui aligne accusations et supputations sans jamais les étayer par des exemples concrets ou des faits vérifiables. Ce qui, avouons-le, n’est pas très sérieux. L’article étant signé par un journaliste connu d’un grand quotidien respectable et respecté, et non pas par la célèbre voyante locale, Leila Abdel Latif.

"Les secondes victimes [de Michel Aoun] seront tous ceux qui aspirent à dépasser l’ordre confessionnel du pays et qui font vivre le fragile dynamisme de la société civile", écrit Saghieh.

Je suis un membre actif, farouchement laïc, voire anticlérical, de la société civile, et un critique acerbe du général Aoun. Je fais partie de "tous ceux qui militent pour les droits pour les femmes (sic), cherchent à pousser les limites de la liberté d’expression dans les médias, défendent les travailleurs étrangers, prennent fait et cause pour les homosexuels". Pourtant ni Michel Aoun ni aucun de ses proches n’ont jamais essayé, de quelques façons que se soit, de me faire taire. Bien au contraire, le dialogue, parfois orageux, a toujours existé avec les proches du général. D’ailleurs, je ne connais personnellement aucun membre de la société civile ou d’une ONG qui ait eu une expérience qui pourrait démentir mes propos.

Sur quoi Hazem Saghieh se base-t-il donc pour affirmer que le général Aoun est un danger pour la société civile et ses ONG ? Le saura-t-on jamais ? A moins qu’Al-Hayat ne décide de faire une enquête sur le terrain et vérifier si les affirmations de son journaliste sont vraies ou fausses. Ce que je l’encourage à faire, au nom de la vérité et de la déontologie journalistique, sans lesquelles aucune démocratie n’est possible, au Liban comme ailleurs.

© Claude El Khal, 2016